Extrait du journal

18 août, en dehors de la banquise, midi, 70° 34'.3" lat. nord, 14° 31' 5" long, ouest, huit heures soir, 70° 26' 4" long, ouest. — Nous sommes enfin hors de la glace, mais cela n'a pas été sans peine et nous avons dû rudement lutter pour y arri ver ! Enfin, ce soir, pendant que j'écris, la mer libre s'ouvre devant nous et nous commençons une petite danse .qui m'a l'air de n'être que l'ouverture d'un grand bal. " Enfin, nous verrons ! Nous ne sommes plus, grâce à Dieu, prisonniers, l'espace est devant nous, la brise bonne, et la Belgica n'en est pas à son premier coup de tabac. Mais terminons notre journal. . Donc, hier soir, n'y voyant plus assez clair et entendant près de nous, à tri bord, le bruit très prononcé de la mer, nous stoppons derrière une forte bar rière de glace pour attendre le jour, es pérant qu'alors nous pourrons trouver un passage qui nous sorte de la ban quise. Autour de nous, les glaces déri vent avec une grande vitesse dans le sud-ouest et, nous sommes obligés de manœuvrer plusieurs fois pour éviter de grands floes qui venaient nous choquer violemment. A deux heures, le jour ayant paru, nous reprenons notre route et nous nous engageons dans un chenal qui nous mène en effet dans une nappg d'eau libre qui n'est encore qu'un lac dans la banquise. La mer gronde toujours à tribord à nous,mais une épaisse barrière de grands floes amoncelés nous sépare d'elle. La brume est épaisse et, n'y voyant pas à cent mètres, nous ne pouvons choisir notre chemin. A deux reprises, nous nous engageons dans un amas de glaçons que la houle secoue, qui s'entre-choquent avec force et brisent leurs bords les uns contre les autres, couvrant la mer de débris. Nous en sortons avec peine. Enfin, à deux heures de l'après-midi, dans une déchirure de la brume, le lieu tenant croit voir la mer libre derrière un amas moins large de ces floes qui for ment la ceinture de la banquise. Nous entrons dans ce belt et nous nous trouvons de suite pris dans un chaos de blocs de glace durcis dont la mer a léché toutes les parties friables et molles et qui, soulevés par une grosse houle, tanguent et se choquent dans tous les sens. Notre pauvre bateau supporte gaillar dement les assauts de ces masses qui se précipitent contre ses flancs, le faisant vibrer par leurs coups de bélier répétés. Il faut manœuvrer de toutes les manières possibles, repousser les glaces avec des esparsj envoyer même les hommes les plus adroits porter des grappins sur les iloes, pour nous haler et dégager le gou vernail et l'hélice; tout cela au milieu...