PRÉCÉDENT

Le Figaro, 17 avril 1901

SUIVANT

URL invalide

Le Figaro
17 avril 1901


Extrait du journal

• On va élever un monument ,à Jules Simon, et l'on ne trouvera pas cette fois que l'hommage est excessif. La statuomanie qui a sévi en ces dernières années a. fortement déconsidéré les statues et les bustes, et il n'est pas mauvais que, de temps en temps, pour rétablir un peu la moyenne, on se décide à couler en bronze un homme vraiment célèbre, de ceux qui soient connus non seulement dé quelques initiés, mais aussi du gros public, et dont les passants ne disent pas, en les contemplant dans nos kiosques ou sur nos places ; Qu'est-ce que c'est encore que celui-là?... C'est une irrévérence que l'on ne com mettra jamais à l'égard de Jules Simon. Ce n'était pas seulement son nom qui était universellement connu, c'était aussi sa personne, car il n'était guère d'en droit en France où; il ne fût allé faire une conférence, prononcer un discours, présider quelque réunion. Il avait der rière lui plus de soixante années de vie pu blique, et il les avait consacrées aux deux carrières les plus retentissantes et les filus agitées qui soient au monde : la po itique et le jou.aalisme. Il en avait connu la face;et le revers, toutes les gloires et toutes les déceptions. Mais il avait, heureusement, enseigné la philo sophie dans sa: jeunesse. Cela sert tou jours dans la vie. Il eut du reste cette bonne, fortune d'atteindre l'âge où l'on, n'est plus dis cuté, et où l'on peut déjà assister, de son vivant, au jugement toujours équitable de la postérité. Il était, sur ses vieux jours, détaché- de la politique active, mais il était resté fidèle aux lettres et au journalisme. 11 lui arrivait de manquer des séances du Sénat, mais il était tou jours assidu aux jeudis de l'Académie, et quand arrivait son jour d'article dans quelque journal ou dans quelque revue, il ne manquait jamais d'envoyer ponc tuellement sa « copie». Il n'était même pas rare qu'il vînt lui-même corriger ses épreuves. Ce côté-là de'sa vie n'était pas le moins noble et le moins touchant, car c'est un hommage de plus à rendre à Jules Simon.que de rappeler qu'il n'était pas riche* et que, jusqu'à la fin, il de manda, .au -travail les ressources d'une, existence (bailleurs modeste^ \ ; Il avait, lui aussi, un « grenier », comme les frères de Goncourt. Mais ce grenier n'était pas un petit hôtel. C'était un appartement très simple, au qua trième étage de cette grande maison de l'angle de la place de la Madeleine, dont le premier étage était habité par Meilhac, autre philosophe. Jules Simon y a vécu quarante années de sa vie, et il y est mort. C'est en face, paraît-il, à un coin de la place, que la statue sera élevée. Elle est presque achevée et sera inaugurée à l'automne. Le hasard, qui est lui aussi un grand professeur de philosophie, fera peut-être coïncider la cérémonie avec la séance de l'Académie française où sera prononcé l'éloge du duc de Broglie. Et ainsi, jusque dans la mort, se retrouve ront en présence ces deux hommes dont le souvenir évoque un des chapitres les plus passionnants de notre histoire poli tique, et qui, par un singulier rappro chement, se sont éteints tous les deux dans une même atmosphère de calme et presque d'oubli. La politique, en effet, quand on la né glige si peu que ce soit, a bientôt fait de vous abandonner à son tour. Il faut être constamment sur la scène, ou tout au moins dans la coulisse. Jules Simon, vers la fin de sa vie, était^ comme son vieil aiîii .M. Thiers, retourné à ses chères études. Il était revenu à ses livres, à ceux qu'il lisait et à ceux qu'il faisait, et ceuxci, à défaut d'autres titres, livres de philo sophie, d'histoire et de littérature, se raient suffisants pour servir de piédestal à sa statue. Ce grand orateur était en même temps un grand écrivain, et c'était aussi un grand travailleur. Je me sou viens'que, deux jours avant sa mort, j'allai savoir de ses nouvelles. Je fus reçu dans le petit salon qui lui servait do bureau. Sur la table était une grande page commencée. La maladie l'avait trouvé la plume en main ; elle L'avait frappé à sa table de travail, qui est le poste de combat pour un écrivain. , ■ , • • • . : Que dénotes éparses, que de papiers intéressants, que de manuscrits inache vés il a dû laisser! Ses deux fils, MM. Gustave et Charles Simon, les ont pieu sement recueillis, et ils en ont re constitué; pour ainsi dire, les « Mé moires » de leur père, qui sont en même temps, les mémoires d'une épo que. Dans le premier volume, intitulé : Premières Années, qui vient de paraître, Jules Simon raconte son enfance, ses tout premiers pas dans la vie, quand il habitait avec sa famille le village de Saint-Jean-Brévelay, en Bretagne. Très curièux ce village, quand on en lit la description à cette distance, et qu'on se dit que c'était pourtant là toute la France rurale d'il y a soixantedix ou quatre-vingts ans. A-t-elle, depuis lors, beaucoup changé comme tempéra ment? N'est-elie pas toujours éprise de l'Ordre avec une certaine indulgence pour les agités, respectueuse des .pou voirs établis avec un léger goût de fronde vis-à-vis de ceux qui les détiennent? JulesSimon nous conte que dans le cabinet de travail de son père, étaient appendus à la muraille tous les portraits delà famille royale,.depuis le Roi jus qu'à M. de Villèle. Mais il ne fallait pas se fier à ces portraits.'Quand on les ren versait la tête en bas, on s'apercevait que, de-cecôté, par une ingénieuse com binaison, ils représentaient «l'Ogre de...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

En savoir plus
Données de classification
  • jules simon
  • waldeck-rousseau
  • hervieu
  • paul hervieu
  • dubonnet
  • ulrich
  • chancel
  • paoli
  • loubet
  • ziem
  • paris
  • france
  • nice
  • bretagne
  • antin
  • montélimar
  • antibes
  • venise
  • europe
  • toulon
  • académie française
  • ecole normale
  • alpes-mariti
  • grande chartreuse
  • société nationale des beaux-arts
  • conseil général
  • sénat
  • union postale
  • l'assemblée
  • société des gens de lettres