PRÉCÉDENT

Le Figaro, 17 avril 1913

SUIVANT

URL invalide

Le Figaro
17 avril 1913


Extrait du journal

Parmi tous les plaisirs départis au voyageur, il n'en est pas qui lui soit plus propre et qu'il goûte plus volontiers que celui d'avancer la nuit dans une ville inconnue, où il vient d'arriver à peine : ce qu'il sait de cette ville ne sert qu'à lui donner des,sujets de curiosité et d'espoir, sans qu'il '.puisse rien imaginer à l'avancé des sentiments qu'il va res sentir; Ainsi, comme un chasseur excité par une fièvre légère, il va, heureux, alerte, éprouvant ce frisson du nouveau qui dispose toute l'âme à la sensation. ' Telle est la jouissance que je me donne à' Albi ce soir : tandis que je marche au hasard par les rues obscures, je crois aller vers cette cathédrale fameuse qui se dresse au-dessus du Tarn. Je voudrais la connaître ainsi d'abord, dans la solitude de la nuit, avant de la regar der au grand jour. Il ne me paraît pas que j'en approche; il est vrai que ce que je vois suffit à m'enchanter. Pourtant ce ne sont que des choses ordinaires : la calme et longue façade d'un couvent, une lampe qui dore une chambre tran quille, deux amoureux qui vont devant moi en se dteant un mot de temps, en temps. Mais le grand charme des sensa tions nocturnes,1 c'est que. rien ne les raccorde: elles restent l'une à côté de l'autre, en suspens, comme des fleurs dont on ne voit pas la tige, et avec les moins rares d'entre elles, on se compose un bouquet mystérieux. . La rue que "j'ai suivie ne m'a conduit qu'à la campagne. Soudain les maisons s'arrêtent, l'espace s'élargit, l'ombré se tait, et au-dessus de la terre confuse je n'aperçois que .le ciel étoilé, dans sa grande simplicité, et tel-qu'il anéantit tous les voyages qu'on pourrait faire d^ns ce vieux monde, puisqu'il faudrait passer l'Océan pour voir changer les signes qu'il nous présente. Mais il faut justement venir dans des lieux nouveaux pour mieux retrouver la douceur des heures communes, et je connais mieux ici ' l'ampleur et la majesté de la nuit, parce que je ne sais pas quelles lignes ni quelles choses elle me cache. Les deux amoureux ont disparu dans l'ombre rus tique : j'entends deux voix qui se parlent paisiblement, sans distinguer d'où elles viennent. Agauche,j'aperçois,derrière un portail, un jardin ténébreux et très pro fond, ou qui du moins me semble l'être. Lies arbres bas et fournis y brouillent leurs branches. La brise errante passe au travers, avec, un murmure aussi délicat que l'aveu d'un secret. Les grosses étoi les brillent à leur place, tandis que le croissant fin et roussi décline rapide ment vers les branches enchevêtrées, comme vers un filet où il se prendra, et tout étonné, au lieu d'avoir découvert les monuments spéciaux et uniques que je cherchais, de n'avoir fait que retrou ver une fois de plus l'universelle poésie nocturne, je me suis appuyé au portail obscur et j'y suis demeuré longtemps immobile et enivré d'ombre. *** Je suis revenu dans la ville et, suivant une grande, allée, j'ai entendu une ru meur qui annonçait la rivière. Soudain je me suis , trouvé sur un pont très haut, jeté entre deux pentes abruptes au pied desquélles grondait une eau que je n'apercevais pas; je discernais seule ment une longne barre oblique d'écume qui tranchait dans l'obscurité. Plus bas, et beaucoup plus près de la rivière, je voyais un autre pont, qui, éclairé, n'était gu une bande blanche et blême pareille à ce qui se présente à nous dans les son ges. Par des rampes, j'y descendis. Là, au-dessous de la barre qu'elle avait franchie, l'eau se ruait contre les piliers et,, au bout du pont, entrait' à grand bruit dans des sortes de porches de bri ques, au-dessus desquels des parois hau tes comme des falaises portaient des maisons :.une d'elles, toute blanche, ses fenêtres closes, avait l'air d'une petite somnanbule au bord d'un abîme : une autre, en contre-bas, sur la rive oppo sée, semblait n'être qu'une façade ap pliquée au roc, et je savais qu'au-dessus de tous ces aspects saisissants, la cathé drale invisible était debout dans la nuit. Les sensations nocturnes sont facile ment fabuleuses et il y a plaisir à revoir, apaisés et coordonnés dans les calmes tableaux du jour, les éléments qu'elles contrastaient et interprétaient dans leurs eaux-fortes un peu fantastiques. Le len demain, il fait beau- Un vent violent soulève beaucoup de poussière ; l'azur, •empli de ces cendres, brille d'un éclat très atténué, et comme une lumière non chalante s'étend et repose sur les co teaux, ce vent qui. agite toutes ces poussières sur elle a l'air de secouer des voiles sur une femme endormie. Revenu sur le grand pont où j'étais arrivé la veille, je vois, bien au-dessous de moi, cou ler le Tarn, enflé par les pluies, entre ses rives abruptes pu étagées en jardins ; au bord de l'eau, des hommes pèchent à...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

En savoir plus
Données de classification
  • victor goloubew
  • cernuschi
  • henry bidou
  • gaston calmette
  • victor gille
  • poincaré
  • g. berardi
  • ernest-charles
  • réjane
  • edmond rostand
  • paris
  • nancy
  • france
  • londres
  • albi
  • tibet
  • marseille
  • berlin
  • tarn
  • rochefort
  • drouot
  • grands magasins dufayel
  • m6
  • grand cercle
  • agence havas
  • sorbonne
  • casino de monte-carlo
  • union postale
  • conservatoire
  • petit palais