Extrait du journal

M. Brunetière s'est fait dans le monde des lettres la situation d'un Grand Juge. Ses verdicts tombent de haut avec une autorité impérieuse, contre laquelle on a regimbé tout d'abord, mais que les esprits pressés acceptent maintenant comme un service, et les esprits incertains comme un bienfait. Et, de fait, dans une société en liquéfaction comme l'est aujourd'hui la nôtre, il y a, pour la plupart des gens, une sorte de réconfort à sentir sous leur main un appui solide auquel ils puissent s'accrocher. M. Brunetière a, d'ailleurs, toutes les vertus qu'il faut pour soutenir sa renommée : il est courageux et sincère. Il est môme le seul critique de notre temps qui soit tout à fait exempt de cette aimable dépravation qu'on appelle la camaraderie. Il dit tout ce qu'il pense et pense tout ce qu'il dit. A tous ces titres, son discours de réception à l'Académie s'annonçait comme un régal d'une saveur assez rare. On prévoyait qu'ayant à faire l'éloge obligé d'un journaliste, il se vengerait de cette contrainte en disant beaucoup de mal de la profession. Il n'a trompé l'attente de personne. Le jugement qu'il porte sur le journal contemporain est sévère, et je sais des journalistes à qui cette sévérité ne saurait déplaire. Seulement, il .n'est pas juste, parce qu'il n'a considéré qu'une face du journalisme, celle-là précisément qui le recommande le moins....