Extrait du journal
« Rien ne va plus !» Et ce cri, en ces jours d'été, retentit par toutes les plages de France, grandes ou petites,—le cri du croupier qui regarde d'un œil indifférent l'argent et l'or s'amasser sur le tapis vert. L'été, la saison des vacances, l'é poque du repos, est en effet, le moment où l'or roule, comme les automobiles. Par petits filets d'eau qui forment des torrents, -il se déverse sur toutes les ta bles, sur toutes. les plages — stations mondaines ou petits trous pas chers. Cake-walk des écus que guette la latte du croupier, sorte de batte d'Arlequin, qui passe, ramasse les petits jetons d'os, d'ivoire ou de nacre, et taille les fortunes, implacable comme la faux de la Mort. L'été! saison joyeuse, saison du jeu. Vive l'été ! Et, devant cette avalanche estivale de l'or, cette profusion de billets de banque, n cette fièvre du gain, cette frénésie du jeu, je songe à la misère inattendue et poi gnante des jours d'été dans la grande . ville. Rien de plus douloureux (y pense" t-on bien?) que la tristesse aux jours d'été ! Les rues sont mornes ; Paris de vient une fournaise. Et jamais il n'y a autant de misères et autant de pauvres que par ces jours caniculaires. — Ah 1 monsieur, j'aime encore mieux les neiges, me disait la semaine dernière un mendiant des rues de Paris, Sans doute ils sont féroces les jours d'hi ver pour les pauvres gens sans feu, sans gîte, sans refuge. Mais nous nous api toyons sur leur triste sort. Nous sommes là pour soulager leur misère, car si nous ne sentons pas la faim, nous sentons du moins le froid et notre égoïste pitié s'é veille. Le brasero de l'asile de nuit ré chauffe les membres gelés; le bon de pain pu la pièce de cuivre tombe dans la main de la pauvre vieille en haillons grelottant dans le brouillard, en un coin de rue. La richesse est présente auprès de la misère pour la combattre un peu. L'été, la richesse s'en va. Elle s'en va à la mer ou aux eaux. Et la misère reste. Les pauvres errent comme abandonnés dans les rues vidtes, dans les grandes places silencieuses, contemplant d'un œil morne les tenetres fermees, les portes closes- les volets clos. Personne. Per sonne au logis, personne dans les fues. Ou frapper*# qui tendre la main > Il ne tombe plus rien dans Tes cours où I on ne chante plus. Et comme disait cet autre; « (;a n'est pas la peine d être orphelm ! » Et, tout aussi bien qu'en hiver, la faim déchire les entrailles; le soleil mord les membres qui n'ont pas de vêtements légers pour se garantir, et la- soif brûle le gosier. L'eau des fontaines et des ruisseaux même ne désaltère plus, sur chauffée par la chaleur torride. C'est aux temps chauds, nous assure Lombroso, que les révolutions sont les plus fréquentes. Et cela se comprend. La chaleur surexcite les cerveaux, échauffe les esprits. On ne conçoit pas bien une barricade surgissant par un jour de neige ou de verglas. Mais sait-on aussi que c'est en été qu'il y a le plus de suicides? Certes on le sait, si on lit les journaux. Oui, l'on se tue par ces jours de soleil éclatant, où la vie semble belle, où il fait bon de vivre, — lorsqu'on peut s'étendre au frais auprès de la mer ou sur la mon tagne. Mais ces journées ensoleillées où le plomb des mansardes est aussi cruel en août qu'en décembre, ces jours que semble dorer le soleil, sont pour beau coup des journées de deuil et de mi sère. *** Chacun a ses mendiants, ses clients à Paris. J'en ai un qui, accroupi contre la muraille, l'hiver, semblable à un Murillo frileux, me salue quand je passe. Il n'a plus de jambes. C'est un cul-de-jatte. Il est très poli. Il se fait de bonnes jour nées. Oui, aux temps froids. Mais le so leil chasse les promeneurs. Ceux qui jettent des sous dans les chapeaux jet tent maintenant aux petits chevaux des pièces blanches, ou des billets de banque au baccara. L'été, c'est pour l'éclopé la morte-saison. Le solèil luit pour tout la monde ! Mais il ne luit pas pour le mendiant — ou il luit trop. Aux porches des égli ses, moins de monde. Et les « petites mains », les petites ouvrières, comme celles des grands magasins, ont moins d'ouvrage. La couture non plus ne va pas,. — Quand finira l'été ? Mais je ne songe pas seulement à Mimi Pinson et aux errants, aux men diants, aux pauvres qui vivent de la cha rité du bourgeois qui passe, je pense à ceux qui ne peuvent pas vivre, qui ne peuvent pas travailler, tout simplement parce qu'on est en été et que Yentr'acte se prolonge. Il y a des professions qui loi vent chômer nécessairement. Vacan ces obligatoires et qui deviennent par fois tragiques. Comment peuvent « sub sister », par exemple, un répétiteur, une institutrice, un professeur de piano? Plus de leçons : le tennis ou le golf— ou le flirt — ont remplacé le latin et les gamines pour leurs élèves. Les parents vont aux eaux avec leurs enfants qui ont bien mérité du repos, et avec leurs do mestiques (heureux domestiques) et ils donnent campos au pauvre professeur! A la rentrée, on reprendra ses leçons à trois francs l'heure deux fois par se maine. Mais d'ici là il lui faut vivre. C'est cette bohème du travail, trop fière pour mendier, assez dénuée de tout pour souf frir, qui est terriblement à plaindre en ces jours d'été. Et que faire? Attendre l'hiver, la « belle gelée » que supportent du moins les Parisiens redeverius ^om...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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