Extrait du journal
Le vieil homme vêtu de noir qui me ressemble rait comme un frère si je n'avais horreur de ces habits « qu'on nomme noirs, lesquels n'ont point d'autre couleur que les ténèbres » (comme parle magnifiquement Descartes en sa Dïoptrique), le vieil homme m'a dit : — Je viens de lire le 1900 de M. Paul Mo rand. — Qu'en pensez-vous? — Je pense qu'il n'y a pas de justice. — Quoi ? Reprochez-vous à l'auteur quelques sévérités, un peu pénibles, en dépit de sa belle humeur, pour tous ceux, comme vous et moi, qui à la fin du dernier siècle n'avaient pas atteint la quarantaine et qui pouvaient encore goûter la dou ceur de vivre ? — De quel droit les lui reprocherais-je ? Il faudrait oublier que nous avons été, vous et moi, beaucoup plus durs que lui pour le bon temps1 de nos, années trente. Et' puis, les historiens qui n'ont pas d'opinions tranchées, de passions, de, haines, vigoureuses, m'assomment, et je doute que M. Paul Morand m'assomme jamais. J'entends autrement qu'il n'y a pas de justice. — Comment l'entendez-vous ? — S'il y en avait une, M. Paul Morand (mais je me mêle de ce qui ne me regarde pas), M. Paul Morand aurait un fils. Et en cette année climatérique 1931, où l'Exposition coloniale fait comme pendant à la dernière Exposition universelle, à l'Exposition séculaire, ce fils aurait exactement le même âge qu'il avait, lui, en 1900. Il se destine rait, cela va de soi, à la carrière des lettrés. Il au rait la même sorte de talent et de sensibilité que son père, les mêmes yeux pour voir, les mêmes moyens d'expression. Et en 1962 précisément il publierait un livre intitulé J931, qui nous amuse rait bien, vous et moi. Quelle revanche ! — Oui, dis-je, mais j'ai grand peur qu'en 1962 nous n'ayons perdu, vous et moi, l'habitude de la lecture. Le vieil homme vêtu de noir me rappela le mot charmant de Léon XIII, à qui l'on promettait qu'il vivrait centenaire et qui répondit : « Ne limi tons pas les bienfaits de la Providence. » Il poursuivit : — Je garderais de les limiter ; je n aurais pas non plus l'indiscrétion Ou l'impertinence de trop compter sur un miracle, et je veux ignorer si nous serons encore en état de lire quand paraîtra le 1931 de M. Paul Morand le fils ; mais il me semble que j'ai la vue assez longue pour le lire d ici. Convenez qu'il n'est pas invraisemblable que 1931 inspire à ce jeune témoin les mêmes sentiments qu'avait inspirés 1900 à son père, et que 1900 soit jugé par lui, en conséquence, avec plus d'in dulgence ou même avec une préoccupation de sym pathie. Vous pensez que je ne vais pas me jeter dans les détails : nous causons ; mais, par exem ple, M. Morand le père traite longuement, et d'ailleurs fort bien, d'une certaine affaire : M. Mo rand le fils ne pourra évidemment passer sous si lence les « affaires » de 1931, Oustric et autres. S'il fait des comparaisons, ne seront-elles pas à notre avantage ? Ne devra-t-il pas reconnaître que depuis trente ans l'indélicatesse a fait en ce bas monde d'effrayants progrès, et que son père outrait le pessimisme quand il parlait de « l'apla tissement des moeurs » en 1900 ? » Notre style de décoration perpendiculaire et rectangulaire, sans doute, l'excédera : je ne vais pas jusqu'à souhaiter qu'il réhabilite le style nœud de vipères, appelé aussi, plus familièrement, le style nouille ; mais que n'aura-t-il pas à dire de la mode et des vêtements ? Hommes et femmes s'habillaient, en 1900, d'une façon qui, naturelle ment, nous semble aujourd'hui comique, mais ils s'habillaient : M. Morand le fils ne manquera pas d'observer que tous les hommes de 1931 sont fa gotés comme des contremaîtres ou des chauffeurs. Quant à ces dames... Tenez, je vois aussi la cou verture illustrée de son 1931. Comme celle du 1900 de M. Paul Morand le père, elle représen tera une de nos élégantes en grande toilette d'été, avec cette résille, cette marmotte ou ce bonnet de pêcheur napolitain qui leur tient lieu de chapeau, et sur les épaules un de ces renards que les fortes chaleurs font sortir des armoires, comme, en hiver, la faim fait sortir les loups du bois. » Abel Hermant, de l'Académie française....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
En savoir plus Données de classification - briand
- françois coty
- paul morand
- blum
- dingeldey
- alfred mallet
- doumer
- morand
- scherdlin
- morizet
- allemagne
- france
- genève
- reich
- sarre
- young
- lyon
- versailles
- alle
- autriche
- confédération des syndicats médicaux
- union douanière
- coty
- assemblée nationale
- confédération des syndicats médicaux français
- snia
- foreign office
- académie française
- la république
- mayence