Extrait du journal

pas à un danger. J'ai patrouillé tout le jour sans découvrir un Abyssin. Mais il peut y avoir de petits grou pes cachés dans les taillis. Attendez les radiotélégraphistes qui vous sui vent immédiatement. Une demi-, heure à peine et nous formerons une colonne. Un infini de montagnes... . Nous avons attendu. La nuit est 1 venue. La douce clarté de la lune a découvert l'imposant panorama des montagnes avec quelques pointes rocheuses et les crêtes ondulées où l'œil devine. l'herbe maigre, les buis sons parsemés. Vers Adoua, vers le Sud, c'est un infini de montagnes... Mon expérience des altitudes d'Ethiopie est toute fraîche.. Elle date du matin. Et cependant, je suis troublé en regardant vers le Sud, car ces montagnes à l'infini, elles ont des chemins semblables à celui que nous avons suivi tout le jour, les mêmes hautes et étroites vallées — redoutables pour une armée — des points d'eau séparés par les mê mes grandes distances... Que cette conquête demandera de valeur, d'é nergie, de prudence, d'organisation stricte, de travail immédiat de colo nisation ! Le départ pour Adoua La colonne est enfin formée. Elle s'ébranle dans la nuit vers Adoua, pour les derniers douze kilomètres. Quatre heures de marche. L'on nous a mis bien au centre. Devant un spectateur peu averti, nous aurions un petit air: assez piquant de pri sonniers. Mais, au vrai, le lieutenant d'Ascaris nous tient pour choses aussi précieuses que des caisses dfe spaghettis et des bidons d'essence. La plus forte colonne de l'armée Maravigna a passé là. Ses traces sont fraîches, par exemple, au bord des rivières où coule la dernière eau de la saison des pluies, un filet d'eau au milieu d'une-boue qu'ont brassée des milliers de .pieds. Comme nous, elle a traversé les ombres de la nuit quand la montagne cache la lune. Il y avait un danger derrière chaque taillis. Une fusillade intermittente accompagnait la marche en avant. A l'heure où l'on n'avance, plus qu'avec le secours de la volonté, quelques lumières brillent au loin ; la plaine d'Adoua ! 11 est dix heures et demie. Nous arrivons dans la ca pitale du Tigré un jour après la conquête. , L'impeccable ordonnance .du camp des vainqueurs C'est un grand spectacle. L'armée dort sous les tentes. Au centre, les chars de combat sont alignés impec cablement. Une vaste tente porte le drapeau à croix rouge. Des patrouil les nous croisent. Au loin, lés petits groupes des avant-postes et sur là droite, au mur d'enceinte du châ teau fortifié qu'a laissé inachevé le ras Johannès et qui a l'aspect d'une ruine, de trente en trente métrés l'on voit les postes de mitrailleuses. L'impression? Elle est inéluctable: celle d'un ordre strict. L'armée n'est là que depuis vingt-quatre heures. Elle a l'air de se préparer à une revue. Et Adoua ? U a fallu un détour pour trouver la capitale du ras Seyouin, qui s'étage sur une colline. U était difficile d'en croire ses yeux! Ce fameux bombardement aérien qui a dû faire frémir d'horreur les âmes pacifiques... Eh bien ! dans la nuit claire, à cinq cents mètres, je cherche longtemps une meutrissure, un toit défait, un mur béant : sur toute la partie de l'agglomération qui s'offre au regard, rien... rien... Toiis, cases, huttes forment un troupeau serré, paisible, sur lequel rien ne désigne le passage du malheur. Nous verrons cela de plus près demain. Maurice NOËL....