Extrait du journal
Les Académies s'émeuvent. On veut qu'elles nettoient Paris de ses moustiques. Paris sans moustiques ne serait plus Paris. D'ailleurs, n'en redoutez point l'événement; les moustiques de Paris, les vrais, se moquent des savants et de leurs menaces. Desséchez les fontaines, curez les bassins, tondez les pelouses, versez du pétrole aux sur faces des lacs, empoisonnez l'atmosphère; enfu mez les arbres, désinfectez les chaussées, racléz tout jusqu'au roc... peut-être immolerez-vous quelques bestioles, de celles que les exotiques nous apportèrent en leurs bagages d'Exposi tion ; mais pas un moustique de Paris n'en souffrira. Le moustique de Paris est invulnérable, immortel. Son existence est fonction... que dis-je... élément de Paris. Et quand Paris se rait détruit, quand il n'y resterait debout homme ni pierre, je crois que, sur la ruine,' on verrait, encore un moustique, lequel ne pleu rerait point nos destinées ; mais s'en moque rait., Le moustique du natùraliste a mille patries. Celui du sociologue n'en a qu'une : Paris. -Ail leurs, on trouve bourdons, guêpes, mouches et autres sales bêtes; à Paris, le moustique. Les bourdons, lourds, vilains, à lunettes... rappelez-vous dans quels pays vous les fuyez... ont ronrons sourds et qui rendent sourds ; les guêpes... et vous n'ignorez point sous quel so-, leil il convient de s'en défier... ont le stylet em poisonné du traître ; la mouche, l'épouvantable mouche de partout et d'ailleurs, la mouche des raseurs, la mouche qui viçnt on ne sait jamais d'où... celle-là... oui... délivrez-en Paris. Nous vous l'abandonnons. Mais le moustique 1 II vole, frisson léger; il charge et pique dans un coup de clairon. Oui, de clairon. Sur le fauteuil du jardin vous digérez, lourd. Ecoutez... n'est-ce point froufrou d'ailes, puis cri bref, métallique, une note claironnante... Les moustiques vous ont sorti de votre fauteuil. Vous vous frottez. Vous pestez. Mais vous marchez et votre diner passe. De même le moustique de Paris est maudit souvent par qui lui devrait, au contraire, beaucoup de mercis. Comme une digestion pénible du rentier dans son jardin, sur le monde et sur la ville pèse l'ennui gros de sommeil... un coup de langue, un éclat de rire ; le moustique a passé. On ne dort plus ; on ne s'ennuie plus ; étant de Paris, le moustique a de l'esprit. Qui pique ; langue, plume ou crayon, chez lui, c'est tou jours fleuret. Mais fleuret qui pique à peine; juste assez pour qu'on le sache aiguisé. Du premier sang qui fasse rire; pas de larmes. Et pour peu que les
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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