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Le Figaro, 20 novembre 1892

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Le Figaro
20 novembre 1892


Extrait du journal

dans un coin, vous pouvez être con vaincu que ce chasseur et ce fusil oui une raison d'être. Le chasseur quittera le théâtre, le fusil restera en place parce qu'il est nécessaire à l'action, parce qu'on doit s'en serviravant le baisser du rideau; c'est élémentaire. Dès lors,vous pensez bien que cet horloger n'arrive pas là comme^un cheveu sur la soupe, il a sa raison d'être. L'auteur ne l'a pas fait venir ;sans motif pour nous parler d'une'pendule a laquelle nous n'avons point à nous intéresser^ — C'est juste ! — Parbleu ! Voulez-vous mon avis ? Eh bien ! c'est là-dessus que portera toute la pièce. L'horloger, la pendule, voilà le nœud de l'action. Jusqu'à pré-; sent il n'y paraît guère,.j'en conviens, mais c'est le dernier moi de l'ingénio sité,, du talent en matière de combinai sons dramatiques, de dissimuler, de laisser oublier ce détail, insignifiant en apparence, dont l'auteur usera soudain pour dénouer une situation compliquée. L'horloger, toute la pièce est là. Il a dit : « A trois heures ! » Ne l'oubliez pas et vous verrez quel parti notre grand-con frère saura tirer, de ce rien. . Le deuxième acte fut largement ap plaudi. Marthe s'y montra admirable. La scène principale entre la comtesse Irène et son mari produisit la plus vive impression. Cependant, quand le comte tira sa montre et constata, en un aparté, qu'il était huit heures et demie, il y eut dans la salle un redoublement d'atten tion. On attendait l'horloger ; il ne parut pas.' — C'est pour le troisième acte, dit le vieux critique. Le retard a été longue ment prémédité, j'en suis sûr. Et le troisième acte s'acheva sans qu'il fût question de la pendule. : -r- Ce sera pour le dénouement, dit le doyen, l'effet n'en sera que plus fort. Regardez le gros public, il a oublié l'incident, il est mûr pour la surprise. Vous verrez quand l'effet éclatera,quand l'horloger fera sa rentrée, la pendule sous le bras, ou suivi d'un apprenti... Le rideau se leva sur le quatrième acte, mais, à partir de ce moment, il y eut comme un malaise dans la salle. Les; spectateurs entraient en disant :—Il pa raît que nous n'y sommes pas. C'est; l'horloger qui est le pivot de la pièce. — Quel horloger? — Celui qui a paru au lever du. rideau et qui devait revenir à trois heures... — Vous croyez? — On ne parlait que de lui au café du théâtre. — Certainement, dit un monsieur en habit noir, je viens d'en causer avec Sarcey, ce sera un coup de théâtre.. Dès-lors, tout sembla vide et sans in té rêt. Marthe essaya vainement de galva niser cette salle tout à l'heure si chaleu reuse et si vibrante, maintenant froide, muette, presque hostile. Quelques ap plaudissements, soulevés par le chef de claque, furent réprimés par des chuts ! énergiques. Les interprètes com mencèrent à perdre contenance. *** A partir de ce moment, le clan des cri tiques ne dissimula plus son méconten tement ; la pièce était ratée. L'un d'eux déclara que c'était une mystification. De quel nom qualifier cette œuvre boiteuse qui tenait le public dans l'attente d'une scène toujours reculée et le bernait d'une espérance'constamment déçue ? Le doyen avoua qu'il y avait bien des longueurs dans l'œuvre du maître. Quand la toile se leva pour le dernier acte, la salle était des plus mal disposées. Jus que-là, on avait pu faire crédit à l'au teur, en souvenir de ses succès passés, mais on ne pouvait vraiment pousser plus loin la mansuétude. Dès le milieu de l'acte, quand il fut bien démontré que l'horloger ne repa raîtrait plus et que personne ne saurait jamais ce qu'était devenue la pendule, des murmures s'élevèrent de tous côtés. On ne daigna plus écouter les' adieux déchirants de la comtesse ; chaque ré plique des acteurs fut couverte par les protestations de la salle. Les ouvreuses achevèrent la défaite en ouvran t bruyam ment les portes des loges. De toutes parts les coups de sifflet retentirent ; le rideau tomba sur un désastre. La presse se montra impitoyable. Les feuilletonnistes s'étonnaient que l'auteur n'eût pas osé risquer la scène de l'horloger. Évidemment, il devait re paraître au milieu de l'agonie de la com tesse. lui dire : « C'est l'heure fatale. » Mieux valait supprimer l'épisode que de ne pas le terminer, que de n'en pas tirer tout ce qu'il pouvait donner. Quant au doyen, il déclara dans un feuilleton de douze colonnes que, seule, la scène de la pendule, magistralement interprétée par un débutant, l'avait vive ment intéressé. Tout le reste pouvait être considéré comme une suite de horsd'œuvre... Cinq ans plus tard, à la reprise de la Comtesse Irène au Théâtre-Français, la pièce obtint un immense succès, mais la presse se souvint de la première et félicita l'auteur d'avoir si habilement remanié son œuvre J Aurélien Scholl....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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