Extrait du journal

Evoluant les derniers jours de l'ancien régime, Ségur dans ses mémoires a écrit ces ligues : « Le vieil édifice social était totalement ruiné dans ses bases profondes, sans qu'à la superficie aucun symptôme frappant annonçât sa chute prochaine. Le changement de mœurs était inaperçu, parce qu'il avait été graduel. » Nous aussi lions sentons bien que la se cousse de'la guerre a -couvert de lézardes le vieil édifice social. Nos mœurs ont changé et changent tous les jours. Il suffit de faire un retour en arrière, d'évoquer la vie que nous menions hier pour mesurer l'importance des changements survenus. Tout cela, nous le savons. Oui. Mais nous ne le croyons pas. Pourquoi ne le croyonsnous pas ? Parce que le mot croire compor te une foi. Il ne signifie pas seulement l'ac ceptation résignée d'un, état de choses ; il ne se soumet pas seulement à des nécessi tés passagères. -Il suppose une volonté d'agir, un effort de l'imagination. C'est un verbe qui crée. La quiétude plantureuse des années qui ont précédé la guerre favorisait-elle une certaine paresse de l'esprit? Peut-être. C'est un fait qu'un malentendu profond sépare la génération qui descend de celle qui monte. Celle-ci reste fidèle à des for mules toutes faites. Elle traduit sa con ception du bonheur social par le retour pur et simple aux habitudes d'avant guer re. Celle-là ne se laisse pas guider par le seul souvenir de digestions faciles. Elle se nourrit de doctrines. Elle a une foi. Une imagination. Un besoin de nouveauté et d'action. L'attachement des uns aux con ditions dans lesquelles se sont écoulés des temps heureux, l'idéal impatient des au tres qui les porte vers les solutions ex trêmes, voilà ce qui compose ce malaise dans lequel nous vivons et qui donne à no tre époque ce je ne sais quoi d'instable et de heurté. Précisément, les difficultés de la vie, l'obligation que nous avdns de servir la France dans un des moments les plus cri tiques de son histoire, soulignent le di vorce intellectuel qui sépare les hommes mûrs des hommes jeunes. Elles soulignent encore davantage l'inanité de classements politiques qui ne correspondent plus ni -aux faits ni aux besoins....