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Le Figaro, 21 janvier 1939

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Le Figaro
21 janvier 1939


Extrait du journal

CE voyage du Maroc, se peut-il que j'aie balancé, tout un jour, à l'entreprendre, moi qui n'ai pas cou tume de cultiver l'indécision ? Comme le malade qui tient en main le juste remède, l'exact et sûr remède qui peut le délivrer de l'angoisse, je me sentais soudain trop las, trop souffrant pour avaler le breuvage et pour nie -tournoi- résolument vers la délivrance. Je n'étais pas sans excuse : j'avais déjà fait deux séjours au Maroc. Je me flattais, bien naïvement, de con naître un peu cet extraordinaire pays qui, d'heure en heure, pousse, grandit, travaille, bourgeonne, change de rythme, d'allure, bref change d'aspect sinon d'âme. J'avais, à deux reprises, comme tant d'autres voyageurs, admiré cette nature démesurée, ce sol tantôt terrible et tantôt souriant, ces villes qui sont parmi les plus belles de l'Islam, parmi les plus belles du monde, ce peuple varié, attachant et noble, cette France africaine, enfin, au visage courageux. J'arrivais d'Europe orientale. Tout me retenait à Paris, mille soins, mille besognes pressantes, ces innom brables fardeaux que les hommes de mon âge acceptent, jour après jour, et dont ils ne savent mêmè plus se passer. Enfin, me faut-il l'avouer ? depuis quelques années, je ne me résigne jamais à quitter ma patrie sans un serrement de cœur. En cette heure grave du monde, j'éprouve un fervent désir, qu'on jugera peut-être ingénu, d'être à ma place, à mon poste, debout sur la tour du guet ; je veux surveiller l'horizon, faire chaque jour effort pour com prendre ce qui se passe, et combattre, à ma façon. Ce grand malaise de la France, cette misère de notre patrie aveugle et tâtonnante, nous voulons l'éprouver jus qu'à la nausée pour en prendre pleinement l'horreur. Il nous semble qu'à souffrir de nos bévues et de nos fautes jusqu'au dégoût, jusqu'à la révolte, nous nous préparons plus sûrement à l'effort de résurrection. Et c'est peutêtre une méprise, car la confiance a besoin, pour accom pli^ ses miracles, d'écarter un bon moment l'éponge de fiel et de vinaigre, car la confiance a besoin de se désal térer enfin à quelque limpide fontaine. C'est ainsi que j'hésitais à déserter, une fois de plus, ma table de travail, la bruissante maison de famille où trois générations du même nom vivent dans l'allègre con corde, et enfin, et surtout, ce grand pays tourmenté qui semble, à certaines heures, perdre la vue de son destin. Je suis quand même parti. Vraiment, la tentation était trop forte et la chance trop séduisante ? N'allais-je pas voyager avec une mission médicale composée de savants illustres dont la plupart sont mes amis et dont quelques-uns furent mes maîtres ? J'aime la société des médecins. C'est dans la discipline du laboratoire et de l'hôpital que s'est éveillé mon esprit. Je dois à la méde cine et aux médecins le meilleur de ce que je sais sur le monde et sur les hommes. Dès que je suis avec lés méde cins, je me retrouve, comme en mon jeune temps, curieux, fervent, affamé de voir, de comprendre, d'apprendre, et même — Dieu me pardonne ! — saisi par un vœu cordial de soigner et de guérir. J'ai donc tiré sur mes liens, jusqu'à traverser la mer. Et la terre d'Afrique touchée, une fois de plus et avec quelle joie, j'ai compris que la vraie France me redevenait intelligible. Hommes de mon pays, vous qui, depuis dix ans, depuis quinze ans et plus peut-être, souffrez, sur notre vieux" sol, à la pensée que la France oublie ses vertus, qu'elle est chaque jour un peu plus empoisonnée par la politique et la sottise électorale, qu'elle se perd dans les arcanes d'une législation confuse, embrouillée comme à plaisir, qu'elle est désormais la victime étouffée de l'admiuistration, de la routine et de la bureaucratie paperas sière, qu elle pourrait, à l'heure du péril, perdre beaucoup de temps à rassembler ses forces et à retrouver le sens de ses meilleures traditions, hommes de mon pays, rompez vos amarres, bouclez votre valise, allez au Maroc et pas sez'y deux ou trois semaines, au moins, plus si vous en avez le loisir ! (Suite page 3, colonnes 1 et 2)...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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