Extrait du journal

L'été a ses plaisirs dont l'un est, certes, 'dé le passer à Paris. Ce plaisir, je l'ai pris, cette année, et, si j'en prévoyais par avance les agréments, ils n'ont pas déçu mon attente. C'est, en effet, une impression bien agréable que celle d'avoir, pour ainsi dire, Paris à soi, un Paris enfin devenu habi table, un Paris qui a dégorge son trop-plein, un Paris qui, momentanément, ne connaît plus ces « embarras » dont se plaignait déjà l'irascible Boileau dans une satire pleine de mauvaise humeur, de verve et de pittoresque, un Paris enfin où le silence n'est plus un phénomène exceptionnel, où, dans la rue, on n'est plus assourdi par un roulement continu de véhicules, où,- de chez soi, on distingue sur la chaussée le bruit délicieux du pas d'un cheval et sur le trottoir le martèlement humain du talon d'un passant. Plaisir d'été, de calme et de solitude auquel s'en ajoute un autre, celui dé recevoir des lettres, de vraies lettrés, non point des billets griffonnés à la hâte, des pneumatiques écourtés, des « mots à la poste » succincts, des messages téléphoniques ellip tiques, mais des lettres à l'ancienne mode, écrites à la main sur du beau papier, des lettres où l'on retrouve l'art charmant et si français qui nous a valu notre charmante littérature épistolaire, un art auquel la vie pressée, haletante et surchargée de notre temps ne permet plus de revivre que durant la période estivale, à la faveur du désœuvrement et'de l'ennui des villégiatures. C'est alors que l'on se souvient, avec une feinte commisération, de l'ami demeuré en ce Paris désert d'août et de septembre. C'est alors que l'on met « la main à la plume » pour lui adresser d'affectueuses pensées, de plai sants propos, de fines remarques, du gentil bavar dage, tous ces riens épistolaires que les Français et les Françaises de tous les temps ont toujours su exprimer avec tant de grâce et d'esprit. Ces correspondances d'été sont, pour ceux qui les rédigent un délassement, et pour celui qui les reçoit un plaisir, car n'en est-ce pas un de consta ter le bon parti qu'on a pris en ne se laissant tenter ni par la mer, ni par la montagne, ni par la forêt et en résistant à l'usage de quitter ses habitudes les plus chères et ses aises les plus certaines sous prétexte que c'est la saison où « tout le monde s'en va ». Déjà Pascal et La Bruyère blâmaient ce besoin qu'ont les hommes de changer de place, mais j'avoue que je serai moins sévère qu'eux à l'égard de cette folle coutume, puisque après tout il est permis de ne s'y pas conformer et qu'elle nous vaut une renaissance annuelle de l'art épistolaire sous la forme de lettres de politesse, de lettres de souvenir, de lettres d'amitié et même de lettres d'amour, en core que ce soit à celles-là que la jeune génération se résolve le moins volontiers, si j'en crois le propos que j'ai entendu tenir un jour devant moi par un de ces récalcitrants qui s'écriait avec un soupir : « Des lettres d'amour ! il faut bien en écrire quel quefois, car il y a des choses, tout de même, qu'on ne peut ni dire de vive voix, ni téléphoner, ni télé graphier à sa maîtresse, par exemple qu'on va la quitter. » Henri de Régnier. de l'Académie Française....