Extrait du journal

cette héroïque poussière; le temps, si dur aux vivants et si tendre pour les morts, a marché, de son même pas infa tigable, et la France, le pays très cher pour lequel ces nobles fils étaient tombés, a continué sa route quoique blessée. Elle a soigné ses plaies béantes, elles les a fermées, elle est guérie ! Et, malgré moi, je songe à ce vieil homme de guerre, dont toujours, par une invincible association d'idées, le souvenir me revient à l'esprit chaque fois que je remue ces cendres. C'était un vieux soldat du premier Empire qui, après bien des années de batailles et de victoires, sentit venir la mort à l'heure où la France payait bien cher ses succès, en cette terrible année 1815 où les ar mées coalisées campaient sur le sol na tional. Le vieux guerrier appela son or donnance, un autre brave qui l'avait suivi dans toutes ses campagnes, et qui l'assistait encore dans ses derniers jours : — Jean, lui dit-il, je vais mourir... — Mais, mon général... — Je vais mourir, te dis-je... Ne per dons pas de temps et promets-moi^de faire ce que je te dirai... — C'est promis, mon général ! — Bien ! Voici ma canne à pomme d'or... je te la donne... Quand les enne mis auront quitté le territoire, tu vien dras sur ma tombe, tu frapperas trois fois du pommeau delà canne, et tu diras d'une voix forte : « Mon'général, ils sont partis !» Je t'entendrai, et ce jour-là je me rendormirai plus content..., C'est bien compris, Jean? — Oui, mon général. — Alors, adieu !. c'est tout ce que je voulais te dire !... Et peu après, la France étant rede venue elle-même, .l'humble soldat allait fidèlement, de sa canne à pomme d'or, frapper trois coups sur la tombe de son maître. Nous pouvons aujourd'hui, sans jactance ni vanité, avec le sentiment très haut et très digne de notre relèvement, faire de même à l'égard de ces morts, morts glorieux ou morts obscurs, dont le sacrifice n'a pas été inutile et dont le sang ne s'est pas répandu en vain. Ils n'ont pas vu la terre promise, ils ne l'ont même pas entrevue, mais c'est par eux, cependant, qu'elle a été tout d'abord fécondée. C'est leur mort héroïque, c'est leur ré sistance désespérée qui nous ont sauvés dans notre défaite et qui, dans la plus cruelle des infortunes, ont imposé au monde le respect de la France... Ce sont eux qui, en tombant, ont affirmé la vita lité de ce pays, la force de cette race, de ce peuple qui ne sait pas toujours très bien vivre, mais qui sait mourir à l'occa sion. Il est juste q;u'en ce jour de paci fique triomphe, quand une fois de plus, et cette fois peut-être de la plus éclatante façon, notre France apparaît à sa vraie place, à son ancien rang qu'elle ne devra plus quitter, il est juste qu'une pensée et qu'un salut soient accordés à ceux qui ne sont plus là, à ceux qui n'au ront connu que la ruine et qui ne verront pas le renouveau. Leur triste vision dernière a disparu. La France, qu'ils ont sentie chanceler sous leurs pieds, est debout, plus forte, plus rayon nante que jamais. Elle a trouvé des al liances que, certes, elle ne pouvait pas prévoir alors. Le deuil ancien est tou jours au fond de son cœur, mais son visage a repris son sourire; elle a remis ses habits de fête, et le drapeau qui vit de si tristes heures, pour lequel ces héros sont morts et que désespérément ils tenaient en leur main crispée, il flotte, aujourd'hui libre et fier, sous un soleil lointain, dans un ciel pur, aux regards enthousiasmés et respectueux d'un grand peuple ami !... Le Passant....