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Le Figaro, 22 janvier 1933

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Le Figaro
22 janvier 1933


Extrait du journal

Un mal qui tombe de la nue, comme un aigle mouillé, brûlant et furieux, et qui fait que l'homme éternue, se repaît de quinine et se frotte les yeux; un mal de nous connu, depuis dix mille aïeux, par des traditions écrites comme orales, la grippe (puisqu'il faut l'appe ler par son nom), capable d'enrichir en un jour l'Euchéron par les taxes successorales, — la grippe, dis-je, inspire aujourd'hui nos dis cours, — et nous tâcherons qu'ils soient courts. La grippe prend les gens et les immobilise. Mais que faire en un gîte à moins que l'on ne lise?... Pourtant, ayant fermé mes livres, j'entendis soudain sonner, dans les ténèbres de ma chambre, ces quatre vers que je ne craindrais pas d'appeler sibyllins, si je n'ai mais mieux les nommer obscurs : Les vérités parfois roulent comme un tonnerre; Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant: L'homme avare souvent gaspille, et, d'ordi[naire, L'économe de vingt est prodigue de cent. Je me pris à rêver là-dessus, comme vous eussiez fait, je pense, et je déplorais que cette maxime, pour vraie qu'elle fût, se présentât à mes oreilles en si pompeux appareil. La Pythie devait parler de la sorte et c'est-à-dire d'une manière grandiloquente encore qu'assez téné breuse. Mais il ne faut pas nier, en effet, que la plupart des hommes ont accoutumé d'économiser, avec le plus grand soin, les bouts de chandelle et qu'ils essayent de tenir un compte fort exact de leurs dépenses, comme s'ils les pouvaient pratiquement modérer par le moyen d'un carnet et d'un crayon; et puis, tout à coup, ils invitent leurs amis et répan dent plus d'argent, en une soirée, qu'ils n'en avaient mis de côté en trois mois. Je vous ai conté l'histoire de ce monsieur qui relut quatre fois, à l'hôtel, le télégramme qu'il venait de rédiger, poussa tin cri de joie quand il eut réussi à supprimer deux mots de son texte et, tout heureux, priant le chasseur de courir à la poste, lui donna dix francs pour la course... L'économe de vingt est prodigue de cent. On me fait remarquer, maintenant que je suis sorti de mes songes, que, dans ce quatrain, le second vers est de Musset et que les deux derniers se peuvent lire ainsi dans la Légende des Siècles: L'homme sobre est souvent cruel, et, d'ordi[iiaire, L'économe de vin est prodigue de sang. C'est bien possible, et je n'en doute point. J'aurai mal entendu la voix mystérieuse. Tristan Derème....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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