Extrait du journal
Les Parisiens qui sé plaignent du mau vais temps ont un moyen admirable pour s'en consoler, et^même pour trou ver agréable la température dont ils jouissent. Ils n'ont qu'à faire comme moi : S'en aller vingt-quatre heures dans: une des stations de la côte normande. Ils reviendront convaincus qu'ils ont échappé aux plus grands dangers, et considéreront la pluie de Paris comme une fraîche rosée, son vent froid comme une brise parfumée, en se rappelant les tempêtes, les ouragans et les trombes qu'ils auront traversés. Certes, ce n'était pas pour faire une comparaison entre la température de Paris et celle des côtes normandes que j'ai pris lé train de Caen. Je n'y songeais pas. Je n'avais pour prétexte, à mon dé part, que d'assister à la très intéressante inauguration du petit railway gui, par Mezidon, relie ParisàCabourg et à Dives. On avait préparé une fête magnifique, car ce chemin de fer de 27 kilomètres est une grande joie pour le pays d'Auge. On l'attend depuis plus de quinze ans, et depuis huit jours qu'il est inaugure de fait, il ne désemplit pas. Tous les paysans guettent le train aux stations, s'y jettent pêle-mêle, se font" traîner pendant quelques kilomètres et reviennent.chez eux, fiers et heureux. Aussi Dives §t Cabourg ont-ils rivalisé' de dépensés et de splendeurs .pour fêter leur petit chemin de fer. Dives a eu sa fête de midi à sept heures, et Cabourg la sienne cie sept heures à l'aurore. Il faut dire qu'il y a eu une rivalité shakespea rienne entre ces deux localités* Cabourg a la mer, une plage et des bains. Dives est à un kilomètre de l'Océan, mais il n'e^t qu'à 300 mètres de Beuzeval, et il chauffe Beuzeval. Cette rivalité s'est tout d'abord trahie dans la construction du chemin de fer. Les ingénieurs avaient pensé à ne faire qu'une seule station de Cabourg-Dives, située à égale distance des deux villes ; mais Dives a réclamé. Il a voulu être tête de ligne, et il a gagné son procès. Seulement, pour le contenter, et comme il ne s'agissait-que d'un parcours de deux cents mètres, il a fallu forcer le chemin de fer à faire une immense courbe, qui vous met plus loin de Dives qu'en s'arrêtant à Cabourg tout simple ment. . C'est à Dives qu'a eu lieu la cérémonie de l'inauguration. M. Fouchér de Careil, sénateur, et enfant du pays, présidait. M. Servois, préfet du Calvados, l'assis tait. L'évêque de Bayeux et Lisieux a béni les. locomotives, la. musique mili, taire a joué dès airs variés, le préfet a parlé, èt l'on s'est rendu au banquet. Dans l'espérance, d'un temps tiède, le banquet avait été préparé sous les anti ques halles de Dives, qui sont fort cu rieuses comme époque et comme archi tecture. D'ailleurs, Dives est une ville où les amateurs de curiosités ont de quoi se régaler. Pour la première fois de ma vie, j'ai pu dîner à un banquet. «Du moins, comme l'a très judicieusement fait observer M. le préfet à M. Parent, directeur du,Grand-Hôtel de Cabourg et organisateur du banquet, du moins, nous mangeons chaud.» On ne s'imagine pas combien il est bon de manger tihaud, quand on est en plein air, avec le vent cle tous les côtés, les pieds glacés et la pluie filtrant à tra vers les toits. On a dîné avec son chapeau et son paletot. Une fausse honte m'a em pêché de réclamer une chaufferette. Les bougies sésont éteintes, au moment où elles commençaient à devenir .indispen sables. 11 y a eu des toasts. M. Foucher de Careil a raconté très spirituellement les vicissitudes du petit chemin de fer pour, lequel tout l'arrondissement était en'liesse. L'orateur a terminé parle cri traditionnel de: « Vive la République!» Tout l'effet a été tué. Dans le Calvados, on n'est pas républicain. . Je voudrais vous parler du feu d'arti fice, de la-fête vénitienne, de la retraite aux flambeaux. Car il y a eu tout cela. Mais il y avait aussi la tempête, qui n'était pas prévue dans le programme. Il paraît qu'on s'y fait. Là-bas, les tou ristes ne semblent pas ressentir les effets de la tourmente. Mais je sais, quant à moi, que je n'ai pas pu contempler la mer trois minutes durant. Je me le suis donné en dix. Quand j'ai pu approcher, — à cinquante mètres, — j'ai aperçu quelque chose de très grand, de très gris et de très sale — c'était l'Océan, et au même moment, j'ai reçu un choc épouvantable, mélangé de mugissements féroces; je me suis senti repoussé en arrière par une force invi sible. Je venais de goûter le plaisir delà plage. Rentré dans ma chambre, je veux ouvrir ma fenêtre. Je soulève le loquet. La fenêtre s'écarte avec fracas, les vitres volent en éclats et le vent, qui pénètre, balaye tout ce qu'il trouve. On ne peut se promener que dans les salons du Casino, qui sont vastes. Quand on.veut prendre l'air, il faut se mettre dans le sens du vent et se laisser pousser ; on va vite et loin. -, Les Cabourgeois et les rares colons qui sont à Dives et à Beuzeval se sont amusés tout de même; mais.ils m'ont paru beaucoup plus curieux de jouer au billard ou d'absorber des bocks dans un bon intérieur chauffé, que d'aller- con templer la.mér en courroux. Aussi le bal, clos et couvert, offert par l'aimable direc teur du Grand-Hôtel à.la colonie, a-t-il obtenu un vif succès. On dansait pour, se réchauffer. En attendant que le petit chemin de fer de Dives à Mezidon, qui s'arrête un peu trop souvent, soit mieux organisé pour la correspondance avec Paris, je suis revenu par Trouville. A minuit, j'ai pu obtenir une voiture. On m'a amené une calèche, que l'on avait couverte avec une bâche et une grande toile cirée. Je me suis calfeutré de mon mieux dans cette manière de corbillard, et nous voilà en route. J'ai vraiment pu me croire en pleine mer et sur un vaisseau livré à toutes les fureurs de l'Océan. Vingt-trois kilomètres au milieu des rugissements les plus fQjpudables et recevait detçmps...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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