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Le Figaro, 23 août 1934

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Le Figaro
23 août 1934


Extrait du journal

Notre régime politique et son action sont faussés, de plus en plus, par un quiproquo. Ce . quiproquo consiste à faire dé finir l'intérêt général par la somme, la . moyenne ou la majorité des intérêts par ticuliers. Ni dans l'espace, , ni dans le temps, ni quant à l'étendue des connaissances ou des calculs qu'exige son ménagement, ni quant à la prévoyance que suppose sa sauvegarde, "l'intérêt général ne pèut réduire sa mesure à celle des intérêts particuliers. Quand un citoyen sollicite des électeurs la délégation de souveraineté qui fera de lui, pendant quatre , ans, un libre manda taire du peuple, quelle est la portée des intérêts particuliers qui décident de son élection ? La plupart des députés doivent leur élection au déplacement de cinquante, cent ou deux cents voix. Leur succès est .déterminé, en définitive, par de minuscules ; marchandages, l'octroi de quelques palmes académiques, si le candidat est puissant, des soins gratuits au bétail de la circons cription si le candidat est vétérinaire, une distribution généreuse de vermouth cassis si le candidat est un mécène... L'élu, désigné par des intérêts particuliers de ce calibre, se trouve investi, du jour au lendemain, du droit souverain de faire les lois, de juger, approuver ou désapprouver la politique de la France avec la Chine, le statut de la monnaie, Je programme de construction des ■sous-marins, les conventions de commerce de peuple à peuple, etc., bref tous les grands 'intérêts nationaux qui n'ont aucun rapport avec les intérêts particuliers qui' déterminèrent l'élection. C'est, évidemment, un abus de confiance. L'abus de confiance devient d'autant plus odieux qu'il trompe notoirement un innocent. Les trois quarts des électeurs n'ont aucune idée ; de la portée précise des for mules de politique générale et, à plus forte raison, des termes techniques que contien nent les programmes électoraux. Il est pro bable. qu'aux prochaines élections canto nales, certains candidats invoqueront la « dévaluation »... On aimerait qu'une enquête préalable auprès du valet de ferme, _ du maréchal ferrant ou du sacristain de la ' paroisse notis. révélât l'image exacte que ces Français, qui ne sont pas plus bêtes que d'autres, mais dont les spéculations restent limitées, peuvent sé faire de là « monnaie dirigée ». Un simple référendum sur la nature du « fascisme » nous appor terait de vastes surprises. On y apprendrait certainement que, dans la plupart des bour gades, le débat pour ou contre le fascisme couvre la rivalité traditionnelle du chef de la fanfare et du lieutenant de pompiers. C'est donc par une convention verbale de pure hypocrisie que le peuple est censé se gouverner lui-même. Il se gouverne dans la limite très étroite de ses connaissances de quartier ou de ses expériences de village, et encore!..; II ne se gouverne pas du tout pour l'essentiel, qui est la prévoyance géné rale du destin du groupe, dont dépendent, en définitive, la bonne ou mauvaise fortune et la vie de chaque individu. Un tel régime a pu fonctionner sans trop d'à-coups tant que la plupart des problè mes de la politique étaient de la compé tence de tout le monde. On réservait les problèmes techniques à des corps spécialisés plus ou moins permanents. Au surplus, les partis se souciaient encore de recruter des hommes de valeur plutôt que des « boîtes » à voter. Le villageois, comme l'ouvrier, pouvait avoir une opinion personnelle sur la liberté de réunion ou sur l'école... Mais, aujourd'hui, les plus graves et les plus cons tants problèmes de la vie nationale échap pent à la compétence de l'homme moyen. Les institutions permanentes de l'Etat ont été détruites ou faussées. Et les partis n'ont le moindre souci de la valeur de leurs recrues... Croire que l'on remédierait à tout cela par une simple réforme électorale est une illusion. Car il ne s'agit pas de trouver des moyens d'expression plus efficaces aux inté rêts particuliers. Il s'agit de les faire plier devant l'intérêt général. Lucien Romier....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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