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Le Figaro, 23 janvier 1876

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Le Figaro
23 janvier 1876


Extrait du journal

ELLE A COMMENCK, FINI. Dès la nuit du 4 août, les abus avaient disparu, les vraies conquêtes étaient faites, les grands avaient eux-mêmes abdiqué tous leurs droits ; la France inaugurait en paix une suite de réfor mes; tu allais être un ouvrier libre et heureux, libre comme l'ouvrier anglais, libre comme l'ouvrier belge, et c'est alors que la grande révolution est venue,qui n'a rien fait que couper des têtes, renverser des monuments et, par dessus tout, tuer la liberté. ; C'est elle à qui tu dois les boucheries de 93, qui ont amené le despotisme de Napoléon 1er, qui a causé la réaction de 1815, qui nous a valu de nouvelles révo lutions, qui ont abouti aux fusillades de Juin, amenant elles-mêmes le second Empire, qui s'est terminé aux déporta tions de la Commune-. Sans elle, mon ami, au lieu de causer à quatre kilomètres de distance, nous se rions ensemble dans ton atelier devisant elle, noué nous , comme citoyens d'un même pays, comme frères d'une même religion ; tandis que tu me dé testes, sans savoir pourquoi, et que je me défie... je sais trop bien pourquoi !... Tiens, sais-tu cè qu'il faudrait, car je te connais, j'aurai beau discuter, avec tous mes raisonnements je n'arriverai jamais à rien.—Ce qu'il te'faudrait, c'est de faire ton tour du monde comme, tu fais ton tour de France. Oh ! comme alors tes idées changeraient! Tu n'aurais pas besoin d'aller bien loin. A peine auraistu franchi le détroit que trouvant chez nos voisins les Anglais la liberté des communes, / La liberté des corporations, ; La liberté dés associations, La liberté de la presse, La liberté de la tribune, La liberté individuelle... Enfin toutes les libertés que la grande révolution t'empêche d'avoir depuis qua tre-vingts ans, tu, commencerais gran dement à réfléchir. - D'autant plus que, découvrant là toutes ces libertés, tu ne rencontrerais rien de ce qui te semble devoir les donner !..... Aucune de ces belles choses que tu as le bonheur de posséder et que tu es si fier de montrer aux étrangers. Là, ni égalité,ni suffrage universel, ni monuments détruits, ni palais en ruines, ni lois abolies, ni coutumes abandon nées... Oh ! pour cela tu peux être tran quille : c'est notre spécialité, à nous au tres, et nous n'avons pas de brevet à prendre, car personne n'a envie de nous voler notre invèntion. ! Et quand tu demanderais à nos voi' sins comment ils en sont arrivés là, ils té répondraient que c'est en réformant tout, et en ne détruisant jamais rien Rien ! pas même une bail» de laine, pas même une perruque d'argent, pas même un carrosse de gala. : Car là est tout le mystère. Chez les Anglais au lieu de détruire, on remet simplement par dessus ; c'est bien moins inagnifique, mais, vois-tu mon ami, c'est plus solide. Et ces Anglais qui sont de singuliers originaux sont encore plus fiers de leurs réformes que tu né l'es de ta révolution. ' Il est bien vrai qu'ils n'ont pas eu la gloire de renverser la Tour de Londres comme tu as renversé la Bastille, seule ment, ils ont comnie consolation de ne pas avoir dix mille des leurs à Cayenne et à Nouméa. . ~ : Ils n'ont pas eu le courage de déterrer leurs rois et de les jeter dans la Tamise, mais ils s'occupent de ne pas avoir au palais de Windsor un despote bien vi-, vant, comme tu en ; avais un, hier, comme peut-être tu en auras un, de main. " . . Ils n'ont pas eu le génie de changer leur calendrier pour le remplir de grands noms révolutionnaires, mais ils tien nent à ce que chacune des dates de leur vieil almanach marque pour l'Angle terre un jour de liberté. Lès vieux châteaux et les vieux cachols de Londres sont encore debout, mais au moins aucune prison neuve ne détient un citoyen anglais injustement arrêté. En un mot, voici deux siècles que l'Anglais fait, dans son pays, ce que tu fais chaque jour dans ton atelier. Car, enfin, dans l'art du bâtiment, comme dans tous les arts de ce monde, procède-t-on par réformes ou par révo lutions? Quand tu vois, tout détruire dans l'Etat, xela te paraît bien simple, parce que c'est de fa politique ; mais, que dirais-tu, si jamais entrepreneur appliquait dans le bâtiment les principes que tu célèbres dans les clubs ? Toi, ouvrier intelligent, qui sais com ment se construit un édifice, toi qui sais que ce n'est pas en un jour que cela se termine, qu'il y a mille choses à faire, mille choses à expérimenter, à perfec tionner; qûe dirais-tu si tu voyais un ar chitecte, qui, à la moindre difficulté, au moindre défaut jetterait tout par terre ; qui, lorsqu'il s'agirait d'ajouter un étage, d'élever une cloison, ou simplement de changer un fronton ou un emblème, abattrait tout de fond en comble ? Tu dirais : mais il est lou cet. architeçte-là, je ne veux pas travailler chez un maniaque paveil. ' Eh bien, c'est cependant ce qui se passe en France, depuis la grande révo lution! Et comme à force de jeter l'édifice par terre et de bouleverser .les fondations, le terrain est devenu plus friable que le sable, rien ne tient plus, tout se lézarde, tout" dégringole. Et toi, mon pauvre ami, qui es toujours-le premier écrasé, toi, qui restes invariablement sous les décombres, cela ne t'empêche pas de t'écrier consciencieusement :

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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