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Le Figaro, 23 mars 1867

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Le Figaro
23 mars 1867


Extrait du journal

Vous éleverez sur ce 'reg&êb-ttftre Villa-Soleil, ou plutôt votre vilia ae l'esprit français, où les travailleurs de la pensée, fatigués par le labeur écrasant qui brise à la fois les muscles et le cerveau, pourront venir se reposer et se préparer à de nouveaux travaux. Voilà qui ost fort bien ; mais pour ne pas écarter de cette en treprise toute chance de succès, il faut, ainsi que vous vous le disiez fort bien, en éloigner avec soin tout ce qui pourrait lui donner le caractère d'un bureau de bienfaisance. Vous avez trop vécu au milieu des écrivains de votre temps pour ignorer quelle ést leur fierté, et avec quelle indignation ils repoussent tout ce qui ressemble à une aumône; et c'est ce qui explique que beaucoup de nos malheureux confrères,—et ce ne sont pas ceux qui ont le moins de talent, — aiment mieux mourir misérable ment dans une mansarde où tout leur manque, que d'aller frapper à la porte -d'un hôpital,.où la charité publique pourrait sauver leur vie menacée. D'autre part, les plus heureux craindraient peut-être d'habiter une villa où ils pourraient au besoin être confondus avec les pauvres honteux de leur époque. Je pense donc qu'il serait absolument nécessaire de déclarer en principe que si la vie à la Villa-Soleil sera très facjle, elle ne sera gratuite en aucun cas. Quand .un écrivain, privé de ressources, viendra frapper à la porte de la villa hospitalière, on organisera soit un concert, soit une soirée dramatique, dont la recette, fournie par le monde élégantqùi habite Nice et Cannes, permettra à noire pauvre de payer sa note comme tout le monde et d'éviter ainsi de passer aux yeux, des employés ou do mestiques pour un nécessiteux dont le service est éter nellement négligé au bénéfice de l'homme heureux qui peut faire entrevoir dans un avenir prochain un pour boire suffisant. Ce système a, d'une part, l'avantage de ne faire au cune distinction entre l'hôte payant et l'hôte gratis, et, d'autre part, si la villa, ce que je crois, réalise un bé néfice considérable, le plus pauvre d'entre nous y aura contribué comme le plus heureux, sans que la première et plus intéressante catégorie d'hommes de lettres soit exposée à accepter le bienfait d'un indifférent ou d'un actionnaire, s'il y a des actionnaires ou des intéressés... le nom n'y fait rien. Il faut avant tout, mon cher de Villemessant, bien nous garder de froisser la délicatesse des pauvres, bien plus subtile que celle des riches. Quand les artistes donnent [à un confrère il ne faut pas «ju^ls s'y pren nent comme tout le monde. Comment voulez-vous ad-. mettre, en effet, qu'à moins de donner à votre belle entreprise le caractère déguisé d'un hôpital, vous puis siez dire à un gérant : :— Voilà, M.'X..., il n'a pas le sou ! Nous lui accor dons l'hospitalité la plus large à la Villa-Soleil, et nous vous défendons de lui présenter la moindre note. Si votre hôte a du cœur, il lui répugnera d'accepter la situation pénible que vous lui faites, et il hésitera à demander une bouteille de vin à un garçon qui sait qu'elle ne sera pas payée ; il se croira forcé $e subir toutes, les privations plutôt que de faire un excédant dé dépense lors même que sa santé le rendrait nécessaire. Un tel état de choses n'est pas admissible, il faut donc que tout le monde paie, et ce sera à nous de fournir à ,tnos confrères malheureux le moyen de remplir cette condition absolument nécessaire en organisant quelque fête à son bénfice. Evidemment, tous tant que nous sommes, nous n'a vons pas une position de fortune qui nous permette de mener à bonne fin l'utile entreprise que vous proposez. Les fêtes du Figaro, les représentations à bénéfice et tout ce que vous pourrez rêver encore ne suffiront pas pour réunir le capital nécessaire. Il voua faudra donc, quand même, avoir recours à d'autres moyens, par exemple à une association entre les artistes et les hom mes du monde qui aiment à vivre en leur société, et pour écarter toutes les susceptibilités, très honorables d'ailleurs, il serait absolument nécessaire .d'éloigner avec le plus grand soin tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à une aumône ou à une souscription publique au bénéfice des inondés de la littérature....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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