Extrait du journal
Sois-nous favorable, ô lune nouvelle ! Abandonne ta couleur rousse ; sois de miel et, d'un baume argenté, parachève la prochaine pâleur odoranté des acacias. Ne crois pas que les Parisiens oublient de lever les yeux vers le ciel. Certes, ils ne le font pas assez fréquemment, et, le soir, ils vont au théâtre, au cinéma, lisent les journaux ou écoutent la T. S. F., mêlant les informations dernières à l'ultime écho d'un concert loin tain ou d'une ânerie proche. Mais, d'autres, dont je suis, amis des beautés nocturnes, savent apprécier tes jeux d'ombre et de nacre, chercher tes rayons à travers les feuillages printaniers, contempler ta marche insen sible sous le filet des nuages d'où tu glisses et t'échappes, narquoise et" rayonnante.1 Certes, nous devrions,- plus sou vent,-aller te rendre hommage en quelque bel observa toire et méditer, avec un respectueux effroi, en face des espaces célestes, l'œil à la lunette immense, cependant que se déplace avec des mouvements de navire la plate forme qui suit ceux des planètes. Nous-savons tes pou voirs et nous te révérons, ô miroir du soleil ! Si des proverbes ou des chansons terrestres se moquent de toi, te font servir à d'irrévérencieuses comparaisons, crois que ces erreurs sacrilèges ne sont le fait que d'un très petit nombre et que la foule des humains t'observe, t'admire et croit en toi. Leur bonne ou leur mauvaise humeur vient de ton influence. On les' dit « bien > ou mal lunés ». Le sein des femmes et la vague de la mer obéis sent à tes rythmes profonds. Tu es 'la patronne des rêveurs et des imaginatifs ; et, peut-être, es-tu ' fâchée parce que l'on n'imagine plus aussi ardemment qu'au trefois. En ce : siècle; essoufflé, la réalité l'emporte^ Les poètes eux-mêmes s'en inspirent et ne te mettent plus que rarement à toutes leurs sauces.. Et pourtant ! Ce n'est pas moi qui oserai dire : « Bête comme la lune... » J'au rais trop peur de tes représailles. Cette constatation ran cunière n'a pu être faite que par quelque malheureux Pierrot, ayant pour rien chanté sa chanson refroidie, un soir de mai glacé par ta faute et n'ayant « plus de feu ». S'il avait su la mythologie, il aurait frémi de tes possi bles vengeances, car tu sais être cruelle autant que bienfaisante. Tu peux frapper d'épidémies les hommes et les troupeaux, percer les femmes de tes flèches. Mais, souvent, tu t'apaises, tu guéris les douleurs et, alors, on te nomme Artémis ; tu protèges les agneaux, les nids, les fleurs nouvelles et les enfants. Comme déesse de la chasse, tu ps intrépide, rapide, inexorable. Non ! Je n'ai rien dit ! et je t'assure que je n'ai jamais ajouté foi à ce vieux potin au sujet d'Actéon, ce chasseur curieux qui, soi-dissnt, t'aurait surprise a\i bain et que tu transformas en cerf et fis déchirer par ta meute. Non l Non ! Ce n'est pas vrai ! Je me souviens avec plus de.certitude que tu sauvas Iphigénie. Sous le nom d'Hécate tu étais, en Tauride, la déesse des Taureaux, et ton culte était sanglant.. Mais, sous ce même nom, chez les Romains, tu présidais aux naissances, tu favorisais les amants, tu étais reine des rites magiques. Que de noms, que de surnoms ont été les tiens, ô sœur d'Apollon, confondue par les fables et les mythes avec la lune Séléné, dont tu étais à ton origine distinctè. Tu fus aussi l'Arcadienne ou déesse des nym phes, amie des vierges et des biches, chasseresse élancée et divine. C est sous cette apparence de sportive et féminine beauté que tu t'es éprise du bel Endymion, l'emblème et le génie du sommeil sans fin. L'aventure de "ce roipasteur si jeune et si beau a été racontée différemment par plusieurs poètes et plusieurs traditions. Je pense que Diane eut pour lui ce que l'on appelle « un béguin », bien qu'elle ne fut pas une déesse sentimentale. Et, com me elle était deesse, elle savait que ce jeune vivant allait subir les lois de la vie, changer, enlaidir et vieillir. Et que s'il partageait son amour, cet amour aussi allait mûrir, se transformer, peut-être s'éteindre. Une immortelle ne peut s accommoder de ce qui- -passe et change, mais elle a le pouvoir d'éterniser un instant par fait. Elle prit donc un baiser à cette bouche périssable, et condamna Endymion à rester jeune et beau en un som meil sans réveil. C'est déjà le Bel au bois dormant, mais à 1 envers si j ose dire... O Lune I je n'en demande pas tant.. Je n'ai plus l'âge de faveurs semblables. Mais, pour me remercier de clian!er tes louanges, permets-inoi, au moins, de dormir jusqu'au beau temps... jusqu'au temps chaud.... Gérard d'Houville....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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