Extrait du journal
Il n'en fut rien. Ces messieurs allèrent tout bonnement au café. Et ils ne se contentèrent pas d'y consommer pai siblement en jouant aux dominos ou au billard. Ils firent de prétendues par ties de famille à l'écarté, au rams, au poker, au poker surtout, aimable passetemps qui nous est venu d'Amérique, pays de milliardaires. Ces parties se prolongeaient jusqu'à minuit, une heure, deux heures, jusqu'à la fermeture du café.' Et quand le café était fermé, on allait dans un autre. Et quand cet autre fermait à son tour, on se réunissait chez un des joueurs. On aurait joué sous les ponts, plutôt que d'interrompre la partie commencée. Si bien que l'excellent M. Goblet s'aper çut, non sans mélancolie, qu'il était tombé d'an mal dans un pire. Sur les cercles, la Préfecture de police avait une certaine action, exerçait une sorte de surveillance. Mais les cafés échappaient à son contrôle. Vous ne pouvez pas em pêcher deux ou trois bons bourgeois de faire, le soir après dîner, une petite par tie en dégustant leur demi-tasse. Et s'il leur plaît de risquer comme enjeu des centaines et même des milliers de francs, ils n'ont qu'à ne pas mettre leur argent sur la table, et vous n'avez rien à y voir. Si vous vous permettiez la moindre ob servation, ces braves gens vous regarde raient d'un air très étonné, et ils vous demanderaient si; cent ans après la Ré volution, il peut être défendu à un hon nête citoyen de prendre son plaisir ou il le trouve. L'autorité était donc désarmée, et l'on jugea plus prudent d'en revenir in sensiblement à l'ancien état de choses, et de fermer les yeux sur ce qu'on ne pouvait matériellement empêcher. La vertu ne s'impose pas par décret, et il y a quelque chose d'un peu puéril à vou loir faire des brigades de gens vertueux, comme on fait des brigades d'agents plongeurs. S'il plaît à un homme de se ruiner aux courses, au jeu ou avec les femmes, ce n'est ni le gouvernement ni les Chambres qui l'en empêcheront. Le mieux serait donc, puisqu'il nous faut vivre avec certains vices, de les frapper d'impôts, de leur infliger en quelque sorte une amende, et de leur faire rendre d'un côté ce qu'ils nous prennent de l'autre. On a procédé ainsi avec les paris aux courses, et l'argent du « mutuel » sert chaque année à alimenter quantité de bonnes œuvres. C'est de l'argent trouvé sous le pas d'un cheval. On a donc le droit d'en être prodigue, et c'est par centaines de mille francs et par mil lions qu'on a pu venir en aide à des hôpitaux, à des crèches et à des asiles. La vertu n'a pas fait la petite bouche, et elle a eu raison. Si elle avait refusé sa part de la prébende, elle aurait fait de la dignité sur le dos de ses pauvres, et cela n'aurait pas empêché les gens de parier. Quant à vouloir protéger les pa rieurs contre eux-mêmes, ne vous y ris quez pas. Ils vous diront que vous les empêchez de faire fortune. Je me trouvais l'année dernière à Cabourg, et comme l'homme n'est pas par fait, il m'arrivait d'aller le soir au Casino. J'avoue même que j'y jouais aux «petits chevaux». Quelle que fût la beauté de la plage, on ne pouvait pourtant pas, sur les onze heures ou minuit, passer son temps à contempler la mer. Je jouais donc, tout comme les autres, et j'ai pu me faire à loisir, sur ces «petits chevaux», une opinion qui est d'une simplicité ex trême. C'est un jeu qui plaît à certains jours et qui plaît moins à d'autres. Tout dépend du résultat qu'on y a obtenu. C'est le sort commun de tous les jeux, le sort aussi des maisons où on les exerce, et qui s'appellent, comme chacun sait, des cercles quand on y gagne, et des tri pots quand on y perd. Le Passant....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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