Extrait du journal

La fortune ne va pas s'asseoir à la porte des poètes ; s'ils la poursuivent, elle leur échappe. Alfred de Musset le savait bien ; aussi, la question d'argent ne préocoupa jamais cet esprit chevale resque ; l'héritage de son père ne fut qu'un déjeuner de soleil et un souper de Brummel. Il vécut aus jour le jour, du revenu de ses œuvres; mais, hélas 1 si les libraires anglais payaient le poète de Don Juan, un louis le vers, les libraires français ne donnaient guère à Alfred de Musset qu'un petit écu. Il .prenait sans compter : il savait la valeur de ses vers, il ne savait pas la valeur de l'argent. L'Académie lui donna un prix. : il l'aban donna à d'autres. Quand la Révolution de février le jeta hors de sa place de bi bliothécaire, il ne fit pas un pas pour la reconquérir. Il pouvait toucher 5,000 francs qui lui étaient destinés pour une comédie qui devait être jouée aux Tuileries. L'Impératrice.-voulait que la somme lui fût versée mais il la re fusa parce que l'Ane et le. Ruisseau ne fut pas représenté. Il arriva ainsi en ses derniers jours avec les sept ou huit mille livres de rente que lui donnaient ses œuvres. Voilà comment la. France paye ses grands poètes ! Ce qui n'empêchait pas Alfred de Musset de donner aux pauvres avec une exquise délicatesse. Un jour il passa devant une petite mendiante en dormie étendant la main par habitude. 11 voulut lui donner cent sous; il ne trouva qu'un louis dans sa poche; il jugea qu'il était indigne de lui de ren gainer son louis ; alors il le posa douce ment sur la bouche de la pauvre petite déguenillée. . C'était le sourire de la foi'tune!...