Extrait du journal

Le principe du féminisme vient de triompher une fois de plus en Europe, et c'est une Indienne qui a montré, avec éclat, que même en politique une femme peut émou voir. Cela s'est passé à Londres, au palais de SaintJames, à cette Conférence de la Table Ronde que le roi d'Angleterre inaugurait ces jours derniers, au milieu d'une assemblée où, à côté des maharajahs et des rajahs, on comptait les personnalités les plus éminentes de la question indienne. Des princes, d'anciens ministres, des hommes politiques avaient déjà exprimé leurs vues, lors qu'une jeune femme se leva pour prendre la parole. C'était la Begum Shah Nawaz, une des deux déléguées représentant le sexe faible à la Conférence. ©le exerça, aussitôt un charme réel sur l'assemblée, qui, av&nt ldé 'l'écouter, s'était mise à la contempler. ' Car elle étaft ' ravissante. D'une trentaine d'années à peine, le visage de forme ovale, doré par ce soleil d'Orient, que l'émotion empourprait légèrement, les yeux larges, profonds et clairs, elle parut d'une beauté particulière, car sa foi évidente semblait idéaliser ses traits. Vêtue à l'orientale, elle portait à la tête un « sari » de soie bleu pâle brodé d'argent, qui descendait harmonieuse ment sur ses épaules. Dans ses cheveux d'un noir de jais, scintillait un diamant magnifique, et un collier de grosses perles d'une eau admirable s'enroulait autour de son cou. Fine, droite, élancée, elle dirigea ses grands yeux bruns vers un homme d'un certain âge qui la regardait avec une certaine appréhension. C'était son père, sir Mohammed Shafi, un jurisconsulte célèbre de la province de Punjaub, délégué lui-même à la Confé rence. Et, comme cette interrogation muette semblait lui avoir donné du courage, elle commença à parler, un peu tremblante, mais s'anima peu à peu, le regard posé maintenant sur les ministres et les dignitaires anglais. Elle parla avec chaleur et éloquence, exprima des idées sensées et nouvelles qui étonnèrent ses auditeurs. Elle déclara, entre autres choses, que l'Angleterre devait bien sç rendre compte du grand changement survenu dans l'Inde, puisque, femme, astreinte autrefois, en cette qualité, à la dépendance, à une soumission absolue, à vivre à l'écart et comme dans une retraite de tous les instants, elle était aujourd'hui sortie de cet état inférieur pour paraître à visage découvert devant une assemblée d'hommes réunis officiellement en Europe, y prendre la parole* et joindre sa voix aux dignitaires de son pays qui venaient réclamer publiquement un traitement plus équitable ou, pour tout dire,, la liberté. N'était-ce pas un signe des temps que cette manifestation dont elle donnait l'exemple ? Et, dans leur haute sagesse, les mi nistres et dignitaires anglais n'étaient-ils pas frappés de ce fait qui, en d'autres temps, eût paru anormal ? La jeune et charmante Begum était devenue, à ce moment précis, maîtresse de tous ses moyens. Elle fut douce? insinuante, persuasive, réclamant la fédération de l"'Inde comme un acte de justice et d'équité. Elle sédui sait par ses gestes, par son regard, par sa voix. Jamais les revendications indiennes n'avaient été présentées d'une façon plus expressive. Son succès fut énorme. Et quand elle s'assit, sous l'émotion évidente de l'assemblée, elle reçut un billet hâtivement écrit par le premier ministre. C'étaient les félicitations du gouvernement. Le féminisme venait de faire son entrée à la Confé rence de la Table Ronde. 4 Ludovic Fert....