Extrait du journal
Chez l'aïeul de l'empereur actuel, qui reçoit aujourd'hui notre première visite, ces arcs de l'entrée, imprévus au milieu de la forêt, ont la base enlacée parles liserons sauvages ; ils semblent, au coup de baguette d'un enchanteur, avoir jailli sans travail d'un sol qui a l'air vierge, — tant il est feutré de ces mousses, de ces petites plantes délicates et rares qu'.urï rien dérange, qui ne croissent que dans les lieux longuement tranquilles, longuement respectés par les hommes. Ensuite viennent des ponts de marbre blanc, arqués en demi-cercle, trois ponts parallèles, comme chaque fois que doit passer un empereur-vivant ou mort, le pont du milieu, étant réservé peur Luiseul. Les architectes des tombeaux ont eu soin de faire traverser plusieurs fois l'avenue par, de factices rivières, afin d'avoir l'occasion d'y jeter ces courbe? charmantes et leur blancheur quasi éternelle. Chaque balustre des ponts figure un enlacement de chimères impé riales.- Les longues dalles penchées y sont glissantes et neigeuses, encadrées par une herbe de'cimetière, qui pousse et fleurit dans tous leurs joints. Et le passage est dangereux pour nos chevaux, dont les pas résonnent tristement sur ce marbre ; le bruit soudain que nous faisons là, dans ce silence, nous cause. d'ailleurs presque une gêne, comme si nous ve nions troubler d'une façon inconvenante le recueillement d'une nécropole. A part nous et quelques corbeaux sur les ar bres,.rien ne bouge et rien ne vit, dans l'immensité du parc funéraire. Après le pont aux triples arches, l'ave nue conduit vers un premier temple à toit d'émail jaune, qui semble la barrer .en' son milieu. Aux quatre angles de la clairière où il est bâti s'élèvent des co lonnes rostrales en marbre d'un blanc d'ivoire; monolithes admirables,au som met de chacun desquels s'assied une bête pareille à celles qui trônent sur les obélisques devant le palais de Pékin, — une espèce de malgré chàiïat, auxïon^ gues oreilles droites, les yeux levés et là gueule ouverte comme pour hurler vers le ciel. Ce premier temple ne contient que trois stèles géantes, qui posent sur des tortues de marbre grosses comme des léviathans, et qui racontent la gloire de l'empereur défunt, la première en langue tartare, la seconde en chinois, la troisième en mandchou. L'avenue, au delà de ce temple des stèles, se prolonge dans , son même axe, indéfiniment longue encore, majestueuse entre ses deux parois de cèdres aux ver dures presque noires, et recouverte par terre d'un tapis d'herbes, de fleurs, de mousses comme si on n'y marchait ja mais. Toutes les avenues dans ce bois sont habituées au même abandon, au même continuel silence, car les Chinois ne venaient ici qu'à de longs intervalles, en cortèges respectueux et lents, pour accomplir des rites. mortuaires. Et cet air de : délaissement, dans cette splen deur, est le grand charme de ce lieu uni que au monde. \ Quand les alliés auront évacué la Chiné, le parc des tombeaux, qui nous aura été ouvert un moment, redevien dra impénétrable aux Européens pour des temps, que l'on ignore, jusqu'à une invasion nouvelle peut-être, qui fera cette fois crouler le vieux Colosse jaune... A moins qu'il De secoue son sommeil de mille.ans, le Colosse encore capable de jeter l'épouvante, et qu'il ne prenne enfin les armes pour quelque revanche à la quelle on n'ose songer... Mon Dieu, le jour ou la Chine, au lieu de4 ses petits régiments de mercenaires et de bandits, lèverait eh masse, pour une suprême révolte, ses millions de jeunes paysans tels que cçux que je viens de voir, so bres, cruels, maigres et musclés, rom pus à tous les exercices physiques, et dédaigneux de la mort, quelle terrifiante _ armée elle aurait là, en mettant aux mains de ces hommes nos moyens mo dernes de destruction !... Et vraiment il semble, quand on y réfléchit, que cer tains de nos alliés aient été imprudents de semer ici tant de germes de haine et tant de besoins de vengeance... ' *** Là-bas, au bout de l'avenue déserte aux verdure* sombres, le temple final commence de montrer son toit d'émail. La montagne au-dessûs, l'étrange çno'ntagne dentelée qui a été choisie pour être comme la toile de fond du morne décor, monte aujourd'hui, toute violette et rose, danë une déchirure de ciel d'un bleu rare, d'un -bleu de turquoise mou rante, tournant au vert. La lumière de meure exquise et discrète ; le soleil, voilé sous ses mêmes nuages couleur de tourterelle. Et nous n'entendons plus marcher nos chevaux sur le feutrage épais des herbes et des mousses. On voit maintenant les grandes portes triples du sanctuaire, qui sont d'un rouge de sang avec des ferrures d'or. Encore la blancheur d'un triple pont de marbre, aux dalles glissantes, sur les quelles ma petite armée recommence de faire en passant un bruit exagéré, comme si ces rangées de cèdres en mu...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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