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Le Figaro, 25 mai 1939

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Le Figaro
25 mai 1939


Extrait du journal

CHRONIQUE * V-^«M»—m—m—m——M JUDAS ÉTAIT-IL UN MODÉRÉ ? Par HENRY BIDOU C 'est un trait inexpliqué, mais certain, de l'histoire littéraire, qu'un même sujet, à un moment donné, s'empare de plusieurs esprits, sans quils se soient concertés. Il y a des annéçs où ce sont toujours des jeunes gens qui sont aimés au théâtre ; d'autres années, ce sont des hommes mûrs, et qui ont déjà commencé de passer à travers leurs cheveux. On ne voit jamais un seul Napo léon, ni une seule Jeanne d'Arc. Deux poètes qui, loin de s'être entendus, sont bien fâchés de se rencontrer, ral lument en même temps le bûcher de Rouen. De même cette saison nous avons eu deux Judas. L'un est connu dé tout le monde. C'est le Judas que M. Raynal a mis sur la scène de la Comédie-Française, imbécile empressé qui assassine le Christ avec le pavé de l'ours. Mais en même temps paraissait à Londres un roman de M. Eric Linklater, intitulé Judas. Il est impos sible, pour des raisons chronologiques, que M. Linklater ait connu l'œuvre de M. Raynal. Nous sommes devant une pure convergence. La trahison de Judas est dans l'air. Ce n'est pas très rassurant. Les deux ouvrages se résument, l'un comme l'autre, dans une phrase de l'auteur anglais : «Vous r aimiez et vous l'avez trahi. Vous avez dit à notre mère qu'il était la seule créature vivante que vous ayez réellement aimée, En cela vous l'avez blessée plus que vous ne pouvez imaginer ; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Vous aimiez Jésus et vous l'avez trahi. Voilà ce que je ne puis comprendre. » Ainsi parle la sœur de* Judas, et c'est bien le problème que pose M. Raynal comme M. Linklater. Mais chacun le résout à sa façon. M. Raynal explique cette contradiction par la bêtise, la satisfaction de soi, le désir de jouer un rôle. Pour lui, Judas est le type même de l'homme moyen. Pour M. Linklater, Judas ne manque ni d'intelligence, ni de prudence. C'est cette sagesse même qui le rend criminel. Il trouve que Jésus va trop loin : il est le type même du modéré bien pensant. Judas a de la fortune, un intendant, des esclaves. Il a, aux portes de Jérusalem, une belle maison, .où il habite avec sa mère et sa sœur. Son père, qui était un rêveur sentimental, est mort. Son oncle, Phanuel, est un des principaux parmi les Sadducéens. Sa mère, Cyborea, est en relations avec la femme de Ponce Pilate. C'est une personne raisonnable et volontaire, qui a été profondé ment offensée de voir son fils, garçon de bonne famille et comblé de tout ce qui peut rendre la vie agréable, suivre sur les routes le vagabond de Galilée. Elle n'a rien compris, selon l'usage, à l'âme de son enfant. Sans doute, le destin a donné à Judas tout ce qu'il faut pour être heureux, sauf la faculté de l'être. Ce qui lui a manqué, dit quelqu'un, c'est d'avoir de l'ap pétit. Entendez par là d'avoir une raison de vivre. Cette raison et ce goût de vivre, il les a trouvés auprès de Jésus. Pendant trois ans, il a été parfaitement heureux. De tous les disciples, c'est lui, sans doute, qui a le mieux aimé son maître. Comment, en un moment, cet amour s'est-il changé ou a-t-il cru se changer en haine ? Le premier fait qui ait déçu et scandalisé Judas a été de voir Jésus chasser les vendeurs du Temple. Il a vu avec peine les tables des changeurs renversées. Cet attentat à la propriété l'a fait réfléchir pour sa propre fortune, à laquelle il est très légitimement attaché. Il n'aime pas le gaspillage et il fait une scène à son intendant, qui a trop bien garni le panier que, depuis le temps de son père, on prépare cha que jour pour les pauvres. Or, voici qu'à la faveur de la prédication de Jésus, à son insu sans doute, il se glisse dans'Jérusalem une tourbe qui prêche la guerre des clas ses et l'insuVrection contre Rome. Judas lui-même est pris dans une bagarre, où un homme, à côté de lui, reçoit un coup de couteau dans le ventre. La guerre sociale, la guerre étrangère, est-ce que tout cela ne va pas sortir d'une doctrine qui change de caractère ? Et Judas est encore troublé de certains actes du maître. N'a-t-il pas prédit la destruction du Temple ? N'a-t-il pas permis à une courtisane de lui essuyer les pieds ? (Suite page 3, colonnes 1 et 2)...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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