Extrait du journal

pas .qu'elle renonce, à-se prononcer tôt ou tard. L'a discipliné n'est pas la servi tude'; le silence n est ni le sommeil, ni la mort. ■ . . L'opinion n'est, en' somme, chez les peuples comme chez les individus, que la saillie plus ou moins prompte, plus ou moins juste, de- l'instinct vital sur le qui-vive. L'être prend position d'abord, quitte à dégager les raisons après. L'o pinion peut tenir son verdict en suspens, mais elle subsiste : il viendra, toujours • une heure où ;les ' dirigeants auront dos comptes à rendre, et si lé corps social a cru devoir momentanément se confier à eux, il aura des comptes à se rendre à' lui-même. ' Quand il s'agit de ces affaires infini ment complexes que sont les. affaires ex térieures, la sagesse des gouvernements consiste, le plus souvent, à discerner, à > capter, à diriger le courant : en se penchant sur lui, ils y puisent la force. De cette collaboration — trop rare, hé las ! — résultent ces heureuses inspira tions- qui influent glorieusement sur l'histoire. . Il y aurait donc lieu de nous réjouir si la France abordait les angoissants pro blèmes du temps présent dans ces dis positions favorables. Ainsi, nous aurions obtenu,-une fois de plus, la preuve ;quc nos institutions saventparfaitementpourvoir à lu défense des hauts intérêts du pays : un gouvernement respecté, une armée bien en main, des finances en bon état, un moral public excellent, c'est assez pour imposer, le cas échéant, à nos adversaire? et pour inspirer con fiance à nos amis. Quand l'heure sera venue de prendre place autour.du tapis vert où se décidera peut-être la nouvelle orientation des affaires européennes, nous serons en forme, et.-si nous avons un système à soutenir, des vues à faire prévaloir, des alliés à seconder, nous serons prêts. • Cette heure n'est pas encore sonnée et peut-être ne sonnera-t-elle pas de sitôt. Les premiers événements de la guerre semblent indiquer de lentes évo lutions, dès succès disputés, et, finale ment, des résultats indécis et obscurs. Quelles que soient les surprises que ré serve le sort des batailles, la Turquie, même si elle doit succomber .sous l'ef fort de ses quatre adversaires,' saura, sans doute, prolonger sa redoutable ago nie. Si, par contre, elle l'emporte, quelles interventions ou quelles menaces seront assez puissantes pour la contenir et l'arrêter? En présence de cette alternative, l'es prit hésite. La politique européenne, là, politique de chacun des .groupements, la politique de chaque pays particulier,' cherchent leurs voies parmi les compli cations des sentiments et des intérêts. Les faits prononceront demain. Nous ver rons alors se dégager les raisons d'agir, et l'Europe ne pourra se.dérober à son devoir. ; Le gouvernement français a quelques semaines encore pour Voir rvenir, se consulter, peser le pour et le contre, choisir, enfin, entre les diverses concep tions qui détermineront les grands cou rants de la politique : internationale. C'est beaucoup que, dans cette attente, on lui laisse la pleine et entière liberté de son jugement, le calme, la sérénité, en un mot, tout son sang-froid.. La, Fçance peut jouer, parmi les puissances européennes, un rôle utile aux autres, honorable et profitable à< elle-même. Elle peut le jouer: qu'ellefasseconfiance à .son gouvernement, qu'elle se- fasse confiance à elle-même, et elle le jouera. Gabriel Hanotaux....