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Le Figaro, 26 juillet 1906

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Le Figaro
26 juillet 1906


Extrait du journal

Faire de la. campagne, tout en restant en ville, est pour ceux qui prolongent, pour. les < dilettantes, > de la vie de Paris menée tard, une attractiop séduisante de juillet. Le matin : le boulevard, le soir les champs. Part est' ainsi faite aux obligations qui achèvent dereT tenir ici, et au plaisir, malgré tout fort réel! pour chacun, d'aller respirer plus à son aise vers le soir, de border l'horizon de fin de jour née chaude d'une rangée d'arbres vrais. Aussi le Parisien attardé ne dédaigne-t-il pas, pour le moment, le dîner à la campagne et se montre-t-il friand des invitations pouvant lui venir de ce côté-là. Cela fait en général des dîners agréables. Invitants et invités y trou vent un égal plaisir. Ceux de la campagne dînent moins en face d'eux-mêmes; ceux de la ville mangent plus au frais. Les uns se ré* galent du dernier potin qu'on leur apporte tout chaud de Paris, les autres remportent en rentrant un souvenir de fraîcheur. En la sai son actuelle, l'un vaut bien l'autre ; il y a équivalence de bons procédés. • Parmi les villégiatures aristocratiques de voisinage immédiat et d'hospitalité fréquente,' l'habitation de la Vallée-aux-Loups, propriété actuelle du duc et de la duchesse de Bisaccia; est une des plus élégantes et des plus accueils lantes du moment. Chaque soir, les aimables maîtres de maison voient leur arriver pour dî ner nombre d'amis n'ayant pas encore quitté Paris et venant demander à leur amitié, ainsi? qu'à leurs ombrages, quelques instants d'inti mité reposante et vraie, de fraîcheur bonne et délassante. On est sûr d'y trouver l'une et l'autre. Fille du prince et de la princesse Rad-v ziwill, ayant épousé le second fils du duc de Doudeauville, la. duchesse de Bisaccia fait les honneurs de ce joli domaine avec une entente parfaite, alliant la grâce native de son origine polonaise aux habitudes de grande manière et de haut savoir-vivre traditionnelles dans sa," nouvelle famille. Et pourles fidèles d'ancienne date de la Vallée-aux-Loups, s'il' y a, à l'arrivée, une pensée immédiate de regrets et de souvenirs pour la duchesse de Doudeau ville, âme durant bien des années de ce séjour qu'elle affectionnait, —il y a de suite, également, agrément vrai à se sentir aussi gracieusement et cordialement accueilli par la maîtresse de maison actuelle. L'une ne fait pas oublier l'autre ; mais l'une et l'autre ont ajouté quelque chose ou mettent quelque chose d'elles-mêmes à cette historique de meure, dont les beaux arbres ont ombragé des têtes augustes ou des silhouettes élé gantes. ' - \ ... Bosquet d'ombre profonde, plantée d'ambres d'essences rares, choisis pour ainsi dire un à un, placés où la vue les voulait, à quelques pas de « Robinson > où les dimanches d'été passent les foules, mais se donnant, elle, la satisfaction de ne pas être vue de ceux qui l'ignorent, la Valléé-aux-Loups est, dans les environs très proches de Paris, un endroit de vraie campagne et d'exquise fraîcheur. Oh est très près de tout, et on'se croit très loin... Tout comme autrefois, on peut y rêver en core, y faire la promenade silencieuse que, matin et soir, sous la charmille épaisse, y faisait avant nous l'ancien possesseur du domaine, l'harmonieux rêveur, l'auteur d'Atala. Comme jadis aussi, on peut en core, à toute heure du jour et près du châ teau agrandi et doué du moderne confort, de mander abri et quiétude au pavillon rustique, demeuré tel quel, où tant de fois, quand dé clinait le soleil, et peut-être comme nous fa-, tigué, lui aussi, de la chaleur et de la ville,, venait s'asseoir Chateaubriand. Ici, dans le pavillon de verdure où nichent les oiseaux, tout est resté en place, rien n'a bougé. —r Respectueux du grand souvenir, le duc Mathieu de Montmorency, l'heureux ga gnant de là propriété quand M. de Chateau briand l'eut mise en loterie, puis son petit-fils le duc de Doudeauville et ses enfants n'ont pas voulu toucher à ce qui, là, devenait de l'histoire. Les objets qui S'y trouvent sont ceux de jadis, — les objets si simples qui ser virent à de si belles choses ! l'encrier de bronze où trempait la plume célèbre, sur la table de pierre. Rien n'a perdu dè sa simplicité primi tive. Le long des fenêtres court du lierre. Du silence habite le kiosque sur lequel là verdure retombe. Il faut y entrer doucement. Peut-être est-ce le momént où, se croyant seule, pourrait revenir la grande Ombre, attirée par ses ombra ges... Tout autour, les oiseaux chantent fol lement, sautent de branche en branche. Mais ceux-là ne troublent rien ; ils n'effarouchent pas les morts. Ils continuent les chants de toujours, et n'empêchent pas de revenir. Et on regarde, et on rêve... A travers une per cée d'arbres lourds de fleurs, le château se devine près de la pelouse que les jets d'eau arrosent. En blanc, sous un chapeau de tulle pâle, la duchesse de Bisaccia se profile au loin, élégante et fine, sur le seuil delà de meure. Un peu rêveuse aussi, elle attend, les invités du jour. Qui sait ? peut-être, autrefois, à cette heure, attendait-il aussi, Lui, les. amis de l'Abbaye-aux-Bois quittant Paris pour prendre avec lui. le repas du .soir... Maintenant, dans le pavillon de repos, le silence s'augmente avec la nuit qui tombe. On se croirait loin, loin des choses ! Et c'est d'ici que, franchissant le mur d'enclos, s'envola un soir le Génie du christianisme, qui fit, de puis, du bruit dans le monde. Certes, il y avait là, l'autre jour, occasion précieuse pour l'ami de passage, hôte d'une heure, de pou voir en relire quelques pages au lieu même où elles furent écrites. Peut-être dans le calmfe de l'oasis verte Chateaubriand trouva-t-il le sentier de silence et de mystère qui mène l'écrivain aux grandes échappées... Pour le visiteur s'en retournant vers la - ville, il y avait, en tout cas, joie à reprendre pour un instant les souvenirs- d'un passé illustre dans le même cadre que les propriétaires actuels ont su conserver et rajeunir. Passe-Partout....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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