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Le Figaro, 26 juillet 1936

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Le Figaro
26 juillet 1936


Extrait du journal

Un dimanche de l'autre été, en allant dîner chez des amis près de Saint-Ger main, j'ai reconnu, sur le mont Valérlen, la place d'où, il y a soixante-cinq ans, j'ai regardé brûler Paris. On ne s'éton nera pas qu'un tel spectacle ait frappé l'imagination d'un enfant et soit demeuré à jamais gravé dans son souvenir. La mémoire est une thésauriseuse qui ne laisse rien échapper ni rien perdre. Elle ne fait guère sur ses réserves de prélè vements inutiles. Souvent même, on pourrait croire qu'elle oublie ce qu'elle a mis de côté ; mais c'est qu'elle attend l'occasion. Elle a de l'à-propos, parfois de l'ironie. Ai-je besoin de dire pour quoi, tous ces jours-ci, elle n'a cessé de représenter à mes yeux las de vieil homme les images de feu qui ont ébloui et fasciné mes yeux neufs ? Le cliché était bon ; les épreuves qu'il me plaît aujourd'hui encore d'en tirer sont nettes et n'ont pas besoin' d'être renforcées. Je me rappelle que je pen sais, en arrivant au point de vue, décou vrir tout d'un coup un immense brasier, un océan ardent, et que d'abord la réalité me déçut, parce que la grande ville ne brûlait pas d'un seul tenant. Les foyers étaient clairsemés. Mais parfois un grand coup de vent inclinait du même côté les incendies parallèles, et tout s'embrasait. Des pans de mur, des toits s'écroulaient et les flammes montaient brusquement â une hauteur vertigineuse. Elles étaient alors tout en or et toutes pailletées d'étincelles. Puis, elles s'affaissaient, elles vacillaient un instant comme une lampe qui meurt, et je regrettais leur splendeur éteinte. On entendait aussi des bruits étranges. Ce n'était pas le murmure ordinaire, la grande voix con fuse de Paris... Malheureusement, la mémoire est la plus personnelle de nos facultés : elle est notre personne même. Ce que mes yeux ont vu ne vaut que pour moi et ne saurait empêcher les camarades, du meilleur monde, de l'un ou de l'autre sexe, qui ne l'ont pas vu, d'aller en pèlerinage, dans la dernière semaine de mai, au mur des fédérés et de saluer la foule en tendant le poing. Ce n'est pas non plus ce qui les empêchera de prendre parti dans les sanglantes que relles du voisin, qui ne nous regardent pas, et de faire pour l'un des frères ennemis des vœux qui ne restent pas platoniques. Les précédents de l'histoire ne comptent que pour les témoins, et on ne peut vraiment pas faire mine de croire que les snobs rouges de 1936 soient, sauf exceptions très rares, des survivants de 1871 ; ce ne serait même pas une impertinence. Je ne le dis pas pour leur chercher des excuses. La Société, ou, si l'on veut, la bonne société n'a pas le droit de pardonner fût-ce les simples ridicules qui menacent son existence, sous pré texte que les délinquants ne savent ce qu'ils font. Je ne me soucie pas non plus de colorer les laideurs que j'ai pu voir dans mon enfance; mais enfin, en ce temps-là, quand on se mêlait de faire une guerre civile, c'était bien entre soi Les Français ont brûlé Paris comme Napoléon voulait qu'on lave son linge sale : en famille. Abel Hermant, de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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