PRÉCÉDENT

Le Figaro, 27 août 1928

SUIVANT

URL invalide

Le Figaro
27 août 1928


Extrait du journal

Les rencontres que l'on fait au coin d'un bois sont toujours un peli alar mantes. Le coin du Bois Sacré n'est pas privilégié à cet égard. L'autre soir, après une longue rêverie sans compagnon, et déjà sur le chemin *lu retour, je m'y suis trouvé brus fquement nez à nez avec un promeneur si bien de sa personne que j'en ai res senti une inquiétude encore plus vive ne doit-on pas tout craindre des gens de qui le physique inspire trop de confiance ? Au moins, les autres se voient réduits par leur mauvaise mine à simuler la vertu. Je ne pouvais éviter ce passant, d'au tant qu'il venait à moi, le sourire sur les lèvres. Il me salua, puis s'excusa de l'avoir fait, n'ayant pas eu d'abord l'honneur de m'être présenté ; mais ajouta-t-il, n'y aurait-il pas eu un pire manque d'usage à ne le point faire, <3an« cette solitude du bois sacré... ou d'île deserte, où, sauf quelques divini tes invisibles et présentes, il semblait que nous fussions les deux seuls êtres vivants ? Je fis un signe d'approbation, mais je n'aimai guère cette allusion à notre solitude, qui me parut menaçante. En . suite, il se nomma, et je lui protestai avec un élan de la voix,que j'étais char mé de faire sa connaissance. Je voulus me nommer à mon tour ; il m'arrêta d'un geste, qui fort clairement signi fiait : inutile, on vous connaît bien. Puis, il me dit, sans autres prélimi naires : — Permettez-moi de vous poser une question. « Parbleu ! pensai-je, c'est l'enquê teur, le fâcheux enquêteur. Au coin du Pois Sacré, il fallait bien s'y attendre. » Je lui repartis avec politesse, mais avec fermeté, que je ne réponds point aux enquêtes, pour deux raisons, dont l'une est noble, l'autre basse et inté ressée. La première est que .j'ai une sorte de pudeur ou, si ce mot fait rire, de mo destie intellectuelle, qui m'empêche de penser devant témoin. Je crois être le seul de mes contemporains qui soit resté court devant un interrogant jour naliste dont le nom m'échappe, qui était venu « causer une heure avec » moi, et qui d'ailleurs ne demandait qu'à me laisser causer tout seul. L'autre raison pourquoi je me dé robe aux enquêtes, la raison basse et intéressée, est que je veux suivre, dans ma partie, l'exemple que m'a donné le père de M. Jourdain : « Il se connais sait fort bien en étoffes, en allait choi sir de tous les côtés, les faisait appor ter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l'argent. » Il n'en eût pas donné pour rien. Moi non plus. Mais mon cynisme ne me fut d'au cun secours. L'enquêteur me fit obser ver que j'étais à sa merci, comme Socrate quand ses jeunes disciples le retenaient par le pan de son manteau et lui disaient : « Nous ne te lâche rons pas que tu ne npus aies répondu. » Ce souvenir classique me fléchit ; puis, je n'ai pas l'habitude de lutter sans le moindre espoir. — Parlez donc... fis-je en soupirant. — Croyez-vous... — J'oubliais de vous dire que j'ai une troisième raison pour ne pas ré pondre aux enquêteurs : c'est que les questions qu'ils posent sont oiseuses la plupart du temps. — Celles-ci sont de l'intérêt le plus certain, le plus actuel... — Tant pis... Mais vous m'avez d'abord parlé d'une question, d'une seule, et vous mettez le verbe au plu riel ! — C'est que j'ai deux questions à vous poser. — Hélas ! — Les deux n'en font qu'une. — A la bonne heure ! Enoncez-les donc de suite, je ne vous interromprai plus. — Croyez-vous que la production artistique et littéraire soit un phéno mène purement individuel ? Ne pensezvous pas qu'elle puisse ou doive etre le reflet des grands courants qui détermi nent l'évolution économique et sociale de l'humanité ? » Deuxième point : croyez-vous à l'existence d'une littérature et d'un art exprimant les aspirations de la classe ouvrière ? Quels en sont, selon vous, les principaux représentants ?... » Eh bien, dit l'enquêteur, après m'avoir laissé le temps moral, — une minuté, — vous vous taisez ? » — Je me recueille, dis-je. — Auriez-vous peine, dit-il d'un air pincé, à comprendre les questions élé mentaires que je vous pose ! Non, certes ! Notamment la deuxième ; et puisqu'elle ne fait qu'un avec la première, elle m'aiderait à l'en tendre, si la formule, d'ailleurs saisis...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

En savoir plus
Données de classification
  • stresemann
  • briand
  • taine
  • méline
  • painlevé
  • herriot
  • moquant
  • beaumarchais
  • g. calmette
  • a. capus
  • paris
  • france
  • angleterre
  • allemagne
  • deauville
  • italie
  • inde
  • genève
  • belgique
  • japon
  • quai d'orsay
  • la république
  • grand prix
  • compa
  • jeumont
  • adam
  • bois sacré
  • union
  • kellogg