Extrait du journal
Je lisais ces jours-ci, dans je ne sais plus quelle feuille (ou bien il ne me plaît pas de la nommer), une espèce de lamentation furieuse à propos dej récents événements financiers et politiques. L'auteur ne pouvait se consoler de voir retomber en bour geoisie le monde, qui depuis quelques semaines d'années s'était désembourgeoisé si hardiment. Il regrettait le rêve trop tôt évanoui de l'économie future, qui a été rêvé par l'Allemagne et qui a failli s'accomplir par l'Amérique. Il ne parlait pas en économiste, même amateur, ni en socialiste déçu : il considérait les choses uniquement du point de vue artiste, il annonçait et il déplorait le triomphe du genre pompier. Il gémissait d'avance, ou il grondait, à la pensée qu'après ces histoires-là on allait long temps nous rebattre les oreilles du bas de laine, de l'épargne et des pauvres petites vertus françaises. On voit que, par parenthèse, les anti-bourgeois ne craignent pas les clichés. C'en est un, que d'appeler bourgeois tout ce qui est sage, conforme — je ne dirai pas au sens com mun, car moi aussi j'en méprise la vulgarité — mais à la saine raison ; un goût de la mesure, qui a été grec avant d'être français, et qui ne comporte pas seulement l'horreur ou ia dérision du colossal, mais une certaine méfiance de l'infini ; et, dans les affai res, un instinct de probité qui vaut celui de l'hon neur, qui permet le risque, sans autoriser l'aven ture, enfin qui exige une balance rigoureuse des engagements pris et des possibilités de les tenir. On a beau prononcer cette épithète : « bourgeois » du bout des lèvres et bien marquer l'intention péjora tive, c'est un grand éloge que l'on fait à notre classe que de ranger sous la catégorie de bourgeoisie tout ce système d'idées, de sentiments et de principes. Eloge quelquefois mérité, non toujours, car on a vu des bourgeoisies perverties ou affolées. En somme, tout cela est surtout bourgeois, parce que ce n'est pas romantique, et l'on sait où mène l'économie romantique, notamment l'économie romantique de Montparnasse. Comme il serait aussi désirable que les personnes qui se piquent d'originalité voulussent bien retran cher de leurs ana des plaisanteries faciles, qui ont déjà beaucoup servi, à l'adresse des vertus de notre race les plus avérées et les plus notoires ! Il sem blerait injuste de ne pas reconnaître que nous avons déjà fait, à cet égard, quelques progrès sérieux, et même inespérés. Sans doute, ce n'est plus qu'en France que l'on entend nier aux Français l'esprk d'entreprise, la passion des lointains voyages et une aptitude vraiment assez remarquable à conquérir les peuples dont la civilisation semble élémentaire au prix de la nôtre, moins par les armes que par une intel ligente et ferme douceur, et par les services rendus; mais il devient de plus en plus difficile, même en France, de contredire ce que l'on dit de nous jusque dans la gazette de Hollande. Nous souhaiterions que nos compatriotes se rendissent pareillement jus tice quand il ne s'agit que d'humbles questions de ménage, et que ce bas de laine, précisément, que l'Europe nous envie (c'est le cas de le dire) trouvât enfin grâce devant leurs yeux. Certes l'épargne n'aura jamais, aux yeux des bohèmes, le prestige de la prodigalité, et ce que peut mettre de côté un gagne-petit ne saurait don ner le vertige ; mais tout est affaire de proportion. Songez aux milliards de la Banque de France, à l'or de la Grange-batelière, plus abondant et mieux gardé que l'or du Rhin. On, nous allègue toujours la fable de la Cigale et de la Fourmi, où la fourmi n'est pas le personnage sympathique ; mais elle a changé depuis La Fontaine. Elle est devenue prêteuse, parce qu'elle a fait des placements et qu'elle veut sauver sa mise. Elle ne dirait plus à la Cigale : « Eh bien; chantez maintenant », parce qu'elle craindrait que ce ne fût son tour de danser. Et la cigale secourue ne peut se défendre d'avouer que « nos pères avaient raison ». Abel Hermant, de l'Académie française....
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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