Extrait du journal

On a défini le duel le triomphe de l'animalité sur l'esprit, du biceps sur le cerveau, en ce sens qu'il prononce l'incompétence des forces intellectuelles ou du droit moral, et qu'il les remplace par l'autorité suprême des forces physiques. Tels, les chasseurs de renne, à l'âge de pierre. C'est peut-être pour cela qu'il sévit de plus en plus, non pas seulement parmi les hautes classes, dont c'était autrefois l'exclusif privilège, et l'unique métier, d'en découdre, mais - comme le progrès marche et que la civilisation galope - parmi les classes inférieures, que cette aristocratique et grossière manie avait, un long temps, épargnées. Il n'est pas de jour qui ne se puisse passer décemment sans un duel, ou du moins sans un procès-verbal de duel, sans un envoi de témoins, sans un arbitrage qui ne reconnaisse formellement ce glorieux, cet inéluctable principe : « Dans une société sciéntifique, philosophique, qui se vante de ses conquêtes morales, un lutteur de foire est supérieur à un Pascal; un coup de poing est supérieur à un beau poème. » Et là-dessus tout le monde | s'en paie de l'envoi^ de témoins, et de l'arbitrage, au point que M. Anatole de j La Forge, hypertémoin et superarbitre en chef, ne sait plus à quels Chateauvil- j lards se vouer. C'est même, en dehors de leurs émoluments, trafics, pots-de-vin et revenants-bons parlementaires, la seule chose que nos législateurs se paient réellement et qui ne coûte rien à personne. Peut-être, à ce point de vue, devrait-on les encourager à continuer?...