Extrait du journal

De tous les points de la côte méditerranéenne, Menton est peut-être le plus beau; il est, du moins, celui que je préfère. L'homme y a, moins qu'ailleurs, forcé la nature à se plier à ses fantaisies grossières d'embellissement, à ses rêves d'imbécile richesse, à son culte du luxe dévastateur. A Menton, la nature est chez elle, encore,et les architectes, aidés des spéculateurs, ne l'ont point encore exilée, mais cela viendra. Menton est moins insolent, moins artificiel que Cannes, où les roses s'enroulent prétentieusement aux balustres des opulentes terrasses, et retombent, avec des grâces empommadées de fleurs peintes, comme on en voit sur les réclames des parfumeurs; il est moins énervant que Nice qui garde, trop mêlée à son douteux parfum de cosmopolitisme, l'odeur de fièvre du boulevard parisien. En son merveilleux décor de montagne et de mer, Menton est tranquille, silencieux et charmant. Sur les coteaux, dans les gorges fraîches et dans les torrents desséchés, les citronniers lai font une perpétuelle jeunesse, une perpétuelle joie de verdure, tachée d'or. Sous les oliviers féeriques, dont les branches se rejoignent en arcs d'ogive, dont le feuillage a des reflets agiles de soie chiffonnée, légère et changeante, s'enfonce, ainsi qu'en rêve, l'éblouissement des clartés maritimes et des brumes de soleil. Presque pas de casino, à peine de cercles, nul bruit de fêtes mondaines, pas d'autres réjouissances publiques que les troupes des musiciens ambulants qui vont d'hôtels en villas chanter leurs gaies chansons napolitaines. Et l'ivresse que verse l'haleine évaporée des fleurs est partout. C'est pourquoi je l'aime....