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Le Figaro, 27 mars 1930

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Le Figaro
27 mars 1930


Extrait du journal

Je n'oublierai jamais, dussé-je vivre cent ans, mon indignation d'écolier, le jour que j'entendis dans notre classe un inspecteur de l'enseignement secondaire dire d'un ton important : — Il est insensé d'apprendre aux enfants les fables de La Fontaine. La morale en est perni cieuse. La raison du plus fort est toujours la meil leure, etc. Cette leçon n'a pas été perdue pour moi ; mais elle ne m'a pas profité dans le sens que monsieur l'inspecteur souhaitait ; car je n'ai pu depuis lors jusqu'aujourd'hui me défendre de hausser les épau les et de me fâcher ou de rire, chaque fois qu'on parlait devant moi de morale ou d'immoralité. Je n'admets qu'une exception : je suis le premier à dire qu'on a tort de mener les enfants à Guignol, où c'est toujours le commissaire qui est battu et qu'on nous prépare de mauvais citoyens. Tout .le monde n'est pas de mon avis. Je recevais dernièrement la visite d'un père éploré, pater doloresus ; il venait me confier les inquiétudes que lui cause son fils, âgé de huit ans. — C'est, dis-je, un bel âge. Hier je lisais le nouveau livre de Georges Suarez. Il y a, au pre mier chapitre, quatre lignes sur le petit Clemenceau, qui en 1848, de sa fenêtre, le menton sur la barre d'appui, l'œil fiévreux, regarde passer la Révolu tion. Cet instantané m'a touché, parce que j'avais aussi huit ans en 70, le 4 septembre, et que, moi aussi, j'ai regardé passer la Révolution. — Ces spectacles seront épargnés à nos chers petits. Je ne le regrette pas. Mais je ne veux pas non plus que mon fils soit un bourgeois... — Que voudriez-vous donc qu'il fût ? — Je m'entends. — Vous avez de la chance. — Enfin je ne veux pas qu'il ait la superstition de l'ordre établi. Ah ! il n'y a plus de jeunesse... — Mon cher, on nous l'a tant corné aux oreilles quand c'était nous les jeunes, que nous pourrions nous abstenir de le répéter, maintenant que ce n'est plus nous. — Mon fils n'a pas le caractère français. — Il n'est pas de l'opposition ? — Savez-vous ce qu'il nous a signifié, pas plus tard qu'hier ? Qu'il n'ira plus à Guignol tant que le commissaire y sera bâtoïrné ! Je veux bien qu'il ait la' crainte du gendarme : elle est le commen cement de la sagesse... — Surtout au siècle des affaires. — Mais l'amour du gendarme, c'est trop. — Non, fis-je doucement, ce n'est pas trop, c'est bien. Voulez-vous me permettre de plaider d'office pour ce gamin au tribunal des enfants ? Je me fais fort d'enlever l'acquittement. Je ne crois pas que votre fils aime l'ordre en soi : c'est une idée qui pour le moment et pour longtemps encore le dé passe ; mais je crois deviner qu'il est, quant à la sensibilité, et toutes proportions gardées, un type dans le genre de Victor Hugo. Victor Hugo a écrit : J'aime l'araignée et j'aime l'ortie, Parce qu'on les hait, Votre fils aime le commissaire et le gendarme, parce qu'on les rosse et qu'on les bafoue sur le théâtre de Guignol. Eh bien, je vais vous confesser une chose, vous n'en reviendrez pas : moi aussi, moi qui ai toute contrainte en horreur et qui serais sans doute anarchiste si une situation trop régulière ne me l'interdisait absolument, j'aime le commissaire et le gendarme parce qu'on les rend trop ridicules sur le théâtre de la vie ; parce que Mme Hanau se moque d'eux, parce que les malheureux chargés de poursuivre une enquête sur la disparition du général Koutiepof recueillent des témoignages Utiles, mais différés comme des rentes viager^ p^rçe qu'on vole des documents dans les cofïres-ïorts et qu'on a le toupet de renvoyer la clef, enfin parce que le seul lieu de France qu'on n'ait pas stupide ment déboisé, c'est Bondy. Abel Hermant, de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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