Extrait du journal

Celui qui, laissant derrière lui le sud de la France, remonte la vallée de la Saône sent bien qu'il a quitté les pays fermes et clairs où la beauté était partout évidente : il ne vit plus dans un temple; ce n'est plus, dans le paysage, ce'chant fier et hardi de toutes les lignes dont pas une n'était molle ou inutile : les grasses collines disputent à peine à l'espace leurs contours; les plaines indéfinies s'étendent, portant leurs villages. Mais bientôt on est gagné par cette langueur; on respire un charme qui est proprement celui de l'ancienne province française. C'est pour donner un centre à ces impressions que je suis venu à Semur. Cette petite ville est encore négligée de la plupart des Français, mais les Anglais, qui sont les véritables visiteurs du monde, depuis longtemps la connaissent. 11 est six heures du soir. Je viens à peine d'y arriver. Dans le pauvre hôtel où je suis descendu, je ne sais encore rien d'elle, sinon qu'une rivière, l'Armançon, l'entoure comme une presqu'île et l'enferme presque tout à fait. Cependant j'ai hâte de sortir, d'autant plus qu'après une journée étouffante, le ciel devient plus pesant encore, et je sens qu'un orage va éclater. Il est peu de spectacles plus captivants que de voir un orage fondre sur une petite ville, surtout si celle-ci est plus ancienne et usée par le temps, plus tempérée, plus tranquille, et .si, autour d'elle, le pays lui-même, divisé, humanisé, possédé par l'homme, semble exgelure tout élément de sauvagerie et' de trouble : et soudain, sur cet ordre, cette sagesse, cette heureuse médiocrité^ l'orage accourt, avec tous ses sabres'et ses étendards, comme une invasion des premiers âges....