Extrait du journal
Il y a, tout autour de ce drame, le sujet de trente-six comédies. Cela a com mencé, le premier jour, par la visite du bon reporter qui, très tranquillement, comme il serait allé prendre des nou velles de sa santé, s'est présenté chez un de nos officiers les plus honorables pour lui 'demander si ce n'était pas lui le traître dont parlaient les journaux. Comme l'officier, interloqué, protestait : — Vous m'étonnez, monsieur, a dit le reporter: nous avons consulté l'Annuaire, et votre signalement s'accordait à mer veille... Il faut vraiment vivre au temps où nous vivons pour qu'après un pareil colloque un des deux interlocuteurs ne soit pas redescendu par la fenêtre. Mais il y a mieux. Lorsqu'en termes for mels un autre officier a été dénoncé, c'est chez sa femme que l'on a couru : — Madame, que pensez-vous de l'ac cusation qui pèse sur votre mari?... — Mais, monsieur!... . — Vivez-vous avec lui? A-t-il des maî tresses? combien?... Et un des reporters,- devant l'effare ment tout naturel de cette dame, devant son embarras à répondre à ses questions, a écrit qu'elle ne lui, faisait pas l'effet d'être très intelligente. Heureusement, le reporter l'était pour deux, et il a fait, avec un admirable entrain, les demandes et les réponses. Puis nous avons eu l'entrée en scène de la dame voilée, bientôt suivie de deux ou trois autres. Ainsi, dans Robert le Diable, une des nonnes sort de terre, couverte d'un long voile impénétrable. Une autre vient après, puis deux, puis trois. Cela se termine par un ballet, chose d'autant plus indiquée, dans la circonstance actuelle , qu'une de nos trois fem mes voilées porte le nom d'un grand musicien. Ce n'est pas Wagner, et c'est dommage. J'avoue que, n'étant pas, en musique, delà nouvelle école, je n'aurais pas été fâché de voir Wagner compro mis dans cette affaire. Mais il. n'est pas dit que cela ne lui arrive, puisque c'est tous les jours le tour de quelqu'un. Une autre de ces femmes mal voilées est, paraît-il, la femme d'un membre du corps diplomatique. Ce diplomate doit bien s'amuser en*lisant lés journaux! Il représente, il est vrai, une république américaine, et toutes ces complicationslà doivent lui rappeler la politique de son pays. On a soin d'ajouter que sa femme lui a donné plusieurs filles. Elle se trouve, ainsi être la belle-mère d'un de nos fonctionnaires les plus importants du Midi. Encore un qui doit passer de bons moments ! On lui accorde, d'ail leurs, qu'il est un fonctionnaire très dis tingué, mais il est à craindre que cette affaire ne le fasse bien plus distinguer encore ! Cette dame voilée a encore d'autres gendres, mais, par un inconce vable oubli, on ne nous donne sur eux aucun détail. Cela viendra, ce n'est pas douteux; mais, dès à présent, il convient de signaler cette lacune aux reporters. Sur la troisième dame voilée, car elles sont trois, comme les Grâces, nous som.mes très suffisamment documentés. Les nouvellistes ont pris leurs informations, et il en ressort, à n'en pas douter, que cette dame était la maîtresse du colonel. Quel colonel ? Je n'ai pas besoin de vous le nommer ; il n'y a, aujourd'hui, qu'un seul colonel en France ! Les renseigne ments les plus précis ont été fournis par la concierge, la seule femme de l'affaire qui ne soit pas voilée : — Cette dame, a-t-elle dit, passait ses journées chez le colonel... Elle rangeait ses affaires, sortait avec lui ; elle était sa bonne amie, quoi !... — Et. où est-elle, maintenant? — Dans le Midi. 7 — Toute seule? — Non pas ; avec son mari... Et allez donc ! Voilà encore un mari dans la danse! Celui-là aussi, s'il lit les journaux, doit être tout à fait gai. Il peut faire son whist avec le diplomate améri cain et avec le haut fonctionnaire très distingué ; ils sont faits, tous les trois, pour se comprendre. Notez que, par sur croît, le colonel, lui aussi, est marié; sa femme est à Strasbourg, où elle doit s'occuper, comme tout le monde, de cette affaire-là. On lui apprend que son mari a trois maîtresses ; c'est probablement ce qu'elle aura vu de plus clair dans cet imr broglio. Même en ne prenant que la moitié de ce que disent les journaux, cela fait au colonel une maîtresse et demie; il y en a encore assez pour exas pérer une femme légitime. .Comment cela finira-t-il, justes cieux? ' Et encore, la colonelle n'a-t-elle pas assisté à cette mémorable descente de la rue Yvon-Villarceau, où deux ou trois de nos officiers supérieurs sont venus s'assurer qu'une modiste ne cachait pas chez elle des allumettes de contrebande ! Il était sept heures du matin et il faisait nuit noire. La pauvre modiste, réveillée en sursaut, a vainement essayé d'allu mer sa lampe. Sur quoi,, la perquisition aurait dû être. terminée, car il était visible,dès lors, que ses allumettes étaien t de la régie; Mais ce n'est pas d'allumet tes qu'il s'agissait, ce qui n'empêche que, depuis, les locataires de la maison, complètement terrifiés, ne se servent plus que du briquet. Ces braves gens au ront beau faire, ils resteront éternelle ment compromis dans cette aventure, et la modiste elle-même trouvera difficile ment à se marier, à moins que l'homme' blond ne cherche femme. Car il y aussi un homme blond, ce qui nous change des grands crimes d'autrefois,...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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