Extrait du journal
IMPRESSIONS DE VOYA&E D'Ostende à Fluelen. En vérité, c'est un singulier contraste d'aller des -villes d'eaux de la mer du Nord aux rives des lacs de Suisse. Dans les "Pays-Bas, c'est le génie de l'homme triomphant de la nature,— dans les pays de montagnes, c'est l'anéantissement de l'homme, et le triomphe de la nature. Je me rappelle qu'à ma première arri vée à Pétersbourg, quand j'admirais ces quais de granit rose, ces églises de ma lachite et ces coupoles d'or, mon cicerone me disait : « Ce qu'il y a de plus merveil leux encore, c'est de songer aux maré cages qui étaient là, le jour où Pierre-leGrand est apparu. » Eh bien ! toute pro portion gardée, on peut dire qu'Ostende est "une preuve étonnante du génie hu main. Quand vous débarquez sur ces dunes, au lieu de regretter les délicieux coteaux de Trouville et les belles roches de Dinard, le premier coup d'œil est un éblouissement. Cette digue magnifique, ces restaurants luxueux, ce splendide kursaal, cette foule immense, répandue sur les sables et sur les qiiais, tout cela a un aspect de grandeur, qui immédia tement rejette dans l'ombre tous nos bains des plages bretonnes et des plages normandes. Il ne s'agit plus de quelques hôtels et casinos, errant à l'aventure à travers des flaques d'eau... Non, magnifiquement installés sur la digue, ils donnent l'im pression du boulevard des Italiens, transporté tout à coup au bord de l'Océan. Quant à l'organisation des bains euxmêmes, c'est une merveille. Au lieu de misérables guérites,que l'on quitte pour courir après la mer, c'est un régiment, que dis-je,un corps d'armée de superbes cabines, que l'on attelle comme des bat teries d'artillerie, et qui manœuvrent avec un tel ensemble et une telle préci sion, que l'on cherche le commandant en chef qui dirige, et que les mauvais plaisants racontent que c'est le général Pontus qui a organisé le plan de cam pagne et que c'est pour cela même qu'il s'c§t décoré. En un mot, depuis l'estacade jusqu'à la maison du Roi, c'est un coup d'œil féerique, sans une tache, sans une fausse note, sauf cette maison même, horrible chalet bariolé de rose turc et de vert laitue, qui,paraît-il,a étéimposée comme un royal cadeau d'outre-mer — Cadeau plus cruel que le casque prussien, car Léopold porte rarement le casque, et le chalet, il l'habite toujours. Voilà donc comment le génie de l'homme a transformé la rive d'Ostende. Or, savez-vous ce que la nature avait fait pour ce pays ? Constamment l'air y est froid, jamais la mer n'est belle, et par tout le pays est laid. Ciel gris,mer grise, pays gris, ciel sans chaleur, mer sans couleur,rive sans saveur.. .c'est un triom phe d'avoir pu installer une station d'étrangers dans une contrée pareille, et d'en avoir fait les premiers bains d'Europe. Car non seulement les vagues n'ont pas là-bas les teintes bleues du Midi, ni les belles/lueurs vert sombre du vieil Océan, mais on ne sait vraiment quel nom leur donner. La mer remuant per pétuellement les sables, l'ensemble a à peu près l'aspect des eaux de votre cu vette quand vous vous êtes lavé au retour de la chasse. Cela seul aurait dû tuer ce pays. Quand on a contre soi l'eau, l'air, la rive et le ciel, il semble qu'on soit vaincu d'avance; et pourtant les Belges ont triomphé de la nature entière. Aussi aurais-je voulu amener là-bas tous les hommes qui ont organisé des stations de bains sur nos plages. Eux n'avaient presque rien à faire. Dieu leur avait tout donné : des roches superbes, des collines adorables, des prairies, qui s'en vont avec leurs arbres et leurs troupeaux jusqu'à la mer... Ils ont trouvé, sans doute, que c'était assez, et qu'il était inutile de rien ajouter. Mais j'estime qu'en cette affaire notre dévoir à nous, touristes, est de rendre justice aux Flamands qui, ayant tout contre eux", sont venus à bout d'attirer plus de monde sur leurs affreuses plages, que nous n'en avons sur nos rives en chantées. Car vous ne savez pas cela, bons lec teurs. Vous n'allez jamais à Ostende, et je crois bien être le seul Français que j'aie rencontré là-bas. Je remarque que chaque ville d'eau finit tôt ou tard par appartenir plus ou moins à une nation. A Biarritz, natu rellement, c'est l'Espagnol qui domine, partout on n'entend que des « olle! olle! ». A Boulogne , c'est l'Anglais, « aïe, mïaou, mïaou »... A Nice, c'est le Russe mélangé d'Italien, « donc déjà que je vous aime, caro, carissimo Or, à Ostende, c'est l'Allemand, « hart, rach, rach... » Si bien qu'à Biarritz, tout le monde a l'air d'avoir remporté une victoire, tan dis qu'à Nice, il y a comme un souffle d'amour, et à Ostende, comme un vent de colère. Si vous n'entendez pas l'allemand, vous croyez véritablement que tous ces Germains sont en fureur ; pour com mander une omelette, ils prennent des physionomies féroces, et pour faire la cour à une jolie femme, ils emploient des mots sauvages. Quand vous les comprenez, au con traire, vous vous apercevez que ce sont de très bonnes gens, d'une vie simple, patriarcale,, qui s'aiment et qui se le disent, dans l'idiome infernal que Dieu leur a imposé, et. qu'en somme c'est nous qui nous trompons absolument sur leurs intentions. Ce qui arrive, du reste, lorsqu'on en tend les tigres dans les jungles et les chats sur les toits; on croit toujours qu'ils vont s'entre-dévorer, au moment...
À propos
En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.
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