Extrait du journal

Spectacle curieux! Le temps était humide après l'ondée de la nuit. Maintenant encore une pluie fine fouettait d'heure en heure les visages attristés aux fenêtres du Grand-Hôtel. La façade était garnie d'une foule d'étrangers et de provinciaux, venus pour voir le carnaval parisien; ils ne voulaient pas perdre un incident de ces folles journées; sur la chaussée boueuse, les escouades de gardiens de la paix pataugeaient dans des mares de macadam; la crinière des casques des gardes républicains à cheval, flottait au gré de la bourrasque qui, de loin en loin, balayait les boulevards depuis la Madeleine jusqu'à la Bastille. Et les nobles étrangers du Grand-Hôtel ne bougeaient pas; ils s'étaient promis de voir le carnaval et ils l'attendaient. Par moments, les figures s'illuminaient d'un rayon d'espoir; au loin l'on entendait comme les douces harmonies du cor de chasse; fausse alerte; c'était la trompette des tramways. Et ils attendaient toujours à toutes les fenêtres; dans les visages tachetés de bleu par la bise, les nez, peu à peu, se coloraient d'un rouge vif; ils relevaient le large collet de leurs fourrures et s'enfonçaient le bonnet d'as- ! trakan par-dessus les oreilles, heureux, après des heures d'attente, de voir enfin au bout de la chaussée un mouvement qui semblait indiquer la venue du carna- j val. En effet, on apercevait au loin un char tout rouge; les lorgnettes se bra- ! quaient sur lui; malheur! c'était une voiture d'Old Enqland qui, lentement, propageait la réclame dans la ville I comme aux jours ordinaires du calendrier....