Extrait du journal

Comme il rentrait, sa femme l’accueillit d'un regard anxieux; Jacques branla la tête et s'affaissa sur une chaise basse, les coudes aux genoux, le front dans les paumes. Elle le dévisagea d'un œil en qui la souflrance avait tari les larmes, et dit, la voix blanche : — L’huissier est revenu; demain,à huit heures, il saisira. Jacques, accablé, eut un sursaut. De puis un mois il roulait dans Paris, co gnait à toutes les portes, oui, devant lui, se fermaient; il n’avait ni crédit, ni chance. Ah! les amis d’hier, les hôtes des jours d'aisance, qu'étaient-ils devenus?... Désespéré, las d’une lutte stérile, le mal heureux était, encore une fois, rentré les mains vides. Et sa femme, sa Gisèle, comme une accusatrice, insistait sur le malheur imminent auquel il n’avait plus le courage de songer! Il retomba sur son siège dans une pros. tration de tout son être. — Nous n’avons plus un sou à la mai son, continua impitoyablement la jeune femme; les fournisseurs nous refusent crédit, le concierge veille à ce que rien ne sorte de la maison. Tout à l’heure notre petite Marie m’a demandé à goûter; je n’avais même pas du pain... Demain nous serons dans la rue... Que vas-tu faire? Il ne répondit pas. La baie de l’appartement laissait voir, par ses portières relevées, un petit salon à la physionomie coquette, grâce à l’un de ces capitonnages de camelote auquel les tapissiers parisiens savent prêter un cachet d’élégance par la souplesse des draperies, les formes câlines des sièges, le chatoiement des peluches. Tout cela était riant, chaud à l'œil ; le cartel Louis XVI rythmait allègrement les heu res, un rais du soleil couchant miroitait dans les biseaux de la glace ainsi qu’un joyeux sourire... Mais par là était passé l’huissier, et ce petit luxe catalogué par Vhomme de loi insultait à la misère de ses anciens maîtres. Jacques s’hypnotisait en son atonie. En face de lui, accoudée, Gisèle le considérait fixement. La chambre était pleine de silence; peu à pou elle s’as sombrit dans la morne pénombre cré pusculaire. La petite Marie, lasse d’avoir faim, étendue par terre, le front sur un pouf, s’était endormie ; au réveil, voyant la nuit proche, elle demanda : — Ne va-t’on pas dîner, maman ? — Non, fit Gisèle d’une voix rauque. — C’est que déjà je n’ai pas goûté et j’ai bien faim... Un brusque sanglot lui répondit. L’en fant s’interrompit et vint, câline, se nicher contre le cœur de sa mère : — Ne pleure pas ! Je ne demanderai plus à dîner puisque ça te fait de la peine. Mais, ajouta-t-elle gentiment, je déjeunerai demain matin, dis? Gisèle ne pleurait plus. Elle dévisagea son mari, et voyant le pauvre homme, ruiné dans ses espérances et dans son énergie, elle l’exécuta d'un haussement méprisant d’épaules ; de lui, son regard glissa sur Marie ; elle contempla la fil lette, la vit pâle, la mine déjà souffre teuse et l’angoisse la mordit au cœur. Faudrait-il que la pauvrette pâtit, parce que son père se trouvait être un inca pable ou un malechanceux ? Elle embrassa passionément l’enfant, comme pour puiser dans ce baiser un grand courage. Puis, elle se leva ouvrit un placard d’où elle tira une robe élégante, la revêtit avec une hâte de ne pas faiblir en sa résolution, fixa son chapeau sur le chignon d’une longue épingle et se dirigea vers la porte en boutonnant ses gants dont l’extrémité blanchie des doigts laissait voir la soie des reprises. Jacques s’était dressé :...