PRÉCÉDENT

Le Fin de siècle, 4 mars 1894

SUIVANT

URL invalide

Le Fin de siècle
4 mars 1894


Extrait du journal

cesse du plaisir, et auraient, pour gagner la protection d’un duc quelconque, lancé leur reste de fausse vertu par-dessus les cascades échevelées de la rigolade. Mais, en somme, le baron n’était que l’amant de cœur de Pâquerette, il était bien son amant de cœur, et il s'endormait assez souvent dans le grand lit de la ves tale joyeuse, dans le grand lit payé vingtcinq mille francs par le duc. Si vous saviez comme on dort bien dans un lit de ce prix-là ! Sou ventes fois,il avait accepté le tète-àtète d’un dîner avec la belle Pâquerette. Oh 1 qu’iL sont bons ces dîners où les vins valent aussi cher que de l’or pur ! Ces vins étaient fournis par le duc, par ce pauvre vieux duc qui n’en pouvait plus. Heureux amant de cœur, va! On l’avait vu, au Bois, dans la voilure royalement attelée de la reine de la Joie : mais celte voiture, ces chevaux, étaient au duc, à l’ancien pair de France. Dans un jour de folie érotique il avait fait ce cadeau à Pâ querette, un petit cadeau de plus de vingtmille louis. Je ne veux faire, amis, à propos de cette cause très délicate, que des comparaisons très'délicates aussi. Ne trouvez-vous pas que le baron Henri de la Faye, dernier rejeton d’une vieille et pauvre famille de Flandre, ressemble assez au monsieur qui s’introduirait dans une demeure momen tanément inoccupée, s’y logerait, boirait les vins du propriétaire absent, puiserait dans le coffre-fort fracturé, et s’engraisse rait, béatement, de plaisir et de satisfac tion ? Ce monsieur là, dame, ça s’appelle un voleur. L’équivalent en amour est symbolisé par un poisson bleu, que Von trouve en grande quantité aux embouchures des fleuves et dont les tendances natives sont singulièrement faciles sur la morale. Tout bas, on disait bien du baron Henri qu’il était le poisson bleu de la belle Pâquerette, et pourtant, lui, croyait bien n’ètre que son amant de cœur, son amant d’am rnr. El, cependant, j’ai dit autrefois, que l'amour excuse tout, que l’amour inno cente même des crimes. Est-ce que le baron est coupable, alors? Oui. Parce qu’il n’aimait pas sa mairesse pour elle-même, mais seulement pour le luxe qui flattait son orgueil, et qui lais sait supposer aux passants que lui, le baron, était le seigneur dont la fortune faisait cette femme aussi belle et payait ses pur-sang. Il n’était qu’un poisson parce qu'aux étrangers il cachait son rôle d’amant de cœur pour le remplacer par celui du duc. Vous tous, jeunes gens pauvres, amants de cœur d’une femme belle, prenez garde ! La première insulte qui vous sera lancée viendra de cette femme dans un moment nerveux. Elle seule sait exactement ce que vous êtes près d’elle, elle seule peut aussi vousjuger. Mais elle sait aussi si vous l'aimez . Et elle sait que si vous aimez, il n’est plus question de fortune, il n’y a plus que l’amour, l’amour qui torture, l’amour qui rend heureux, qui explique tout, par donne tout, permet tout. L’AÏEULE....

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

En savoir plus
Données de classification
  • gabriel mourey
  • baron henri
  • leprince
  • rachilde
  • ducroquet
  • auteuil
  • albert cim
  • paul perrin
  • georges guy
  • renée pâque
  • paris
  • france
  • bois
  • la seine
  • saussay
  • beauvais
  • ix
  • groom
  • faye
  • anjou
  • conseil d'etat
  • cour de cassation