Extrait du journal
dit à la mode, bien qu’elle soit la seule à vanter ses triomphes. Voulez-vous que nous l’observions ensemble tous les deux ? Ma blonde amie consentit à ce jeu et, pendant une demi-heure, nous obser vâmes ses gestes et écoutâmes ce qu’elle disait. Grossière, commune, vulgaire, men diante, notre Jeanne allait des uns aux autres hommes, s’offrant avec l'impu deur des filles de bas étage, sollicitant la générosité des uns avec l'aisance des gueux qui n’ont plus l’orgueil de cacher leur misère, suppliant presque un amant d'un soir qu'il mît pour elle un louis sur tel ou tel cheval, et nous devi nions de quelle façon ce louis serait rendu. Cela! cette femme ! cette prostituée qui taxe au prix d’un louis l’abandon de son corps et l’effort de ses sens ; cette femme serait une courtisane ! cette femme serait la courtisane ! Ma compagne tout à coup s’écria : — Mais cette Jeanne est une ignoble grue 1 Son exclamation achevait l’expé rience. Nous nous éloignâmes un peu de la cohue, et tout bas, dans son oreille petite, véritable bijou d’art ciselé par des mains de fée, j’eus la cruauté de lui dire cette horrible chose : — Lorsque vous êtes parmi toutes ces femmes, irrespectueuse pour elles comme elles sont irrespectueuses pour vous, vous leur ressemblez effroyable ment. Et je défie un homme capable d’être l’amant d’une "rande courtisane d'arrêter plus d’un instant son désir sur vos cheveux blonds. Je la sentis qui frémissait; sans doute elle était convaincue que je disais vrai et qu’une courtisane devait avoir une vie bien différente de l’existence abominable et hasardeuse des pauvres prostituées qui travaillent les habitués du pesage où fréquentent les rastaquouères qui veulent être adorés, les gigolos qui cherchent l’usurier, exploi tant la maladie de cœur de leur mère ou la prochaine apoplexie de leur père: où fréquentent encore quelques jeunes gens du monde moderne pour qui il est smart de n'aimer rien et de le dire, et quelques hommes du monde qui ont ou veulent une maîtresse à qui on n’a point honte de parler. Dans un temps où la déesse Saleté triomphe, où tout s'incline dans la boue, où tout se souille, où tout salit, il n’est point étonnant que la courtisane ait descendu le courant et soit devenue lamentable comme elle est. Si je pense à Joconde, maîtresse de rois, de seigneurs puissants, de prélats superbes, recevant dans son palais les plus grands personnages du royaume, donnant des fêtes dont le coût aurait épouvanté le plus riche des princes, je me demande combien aujourd’hui oseraient môme rêver que ces fêtes leur seraient possibles. Et naturellement mes yeux ne cher chent point parmi les plus folles; je devine dans un coin de campagne un grand château au milieu de grands bois et, comme une reine se promène, la reine du château passe lentement, doucement reposée au bras d’un amant qui parle à mi-voix, ou chante, ou rit. Victorien du SAUSSAY....
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
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