PRÉCÉDENT

Le Fin de siècle, 26 avril 1896

SUIVANT

URL invalide

Le Fin de siècle
26 avril 1896


Extrait du journal

Comment voulez-vous qu'on n’embrasse pas au moins un quart d'heure, une petite femme qui sait ainsi mettre à sa place un impudent personnage comme le devait être, en cette circonstance, le gros bouffi de Lé veillé? Enfin, après trois heures de bécots et de houstifailles, on en arriva aux liqueurs. Cinq minutes plus tard, Zita se leva et disparut dans sa chambre à coucher. — Fume une cigarette et... Et j’en grillai une, en regardant Jeanne d’Arc, à cheval, toujours à cheval, infati gable, superbe, majestueuse, un peu trop majestueuse même. Et je pensai, gravement, à Léveillé, qui, depuis toute sa vie, voit tous les jours, sans se lasser, toujours admiratif, la vierge de bronze sur son cheval de bronze qui lève un pied. On finit par comprendre pourquoi les gens engraissent à ce petit jeu-là. Je jetai la cigarette par la fenêtre ; elle tomba sur le chapeau à fleurs d’une grosse dame. Désintéressé des dégâts qu’elle pouvait commettre, je pénétrai immédiatement dans la chambre où Zita devait m’offrir le plus succulent dessert qui couronna jamais succu lent repas. Oh! mes agneaux ! Si vous l’aviez vue !... Je me suis précipité avec furie, ébloui, les yeux fermés ; mon ardeur invincible fut accueillie sans la [dus légère résistance, et j’allais noyer tous mes chagrins passés et à venir dans un fleuve débordant de joie, j’allais monter sur les ailes splendides du bon heur et bondir vers le ciel, quand un terrible coup de sonnette ébranla toute la maison. C’est effrayant l’effet que produit un coup de sonnette sur les nerfs, dans ces momeuts-là, quand on est chez un de ses bons amis dont on détériore Iê contrat, en compagnie de sa femme, d’une femme jolie comme un cœur, et pas plus habillée qu’un ange du bon Dieu. Et cette petite folle de Zita qui me demande d’un air drôle, étonné, d’un air qui n’en re vient pas : — On a sonné? — Je crois. Je n’avais pas dit le dernier mot qu’un autre coup de sonnette dix fois, cent fois plus formidable, hurla dans le vestibule. — Ça doit être lui, dit Zita, il n’y a que lui pour tirer comme ça un cordon de son nette. Attends un peu, tu vas voir comme je vais l’attraper. — Tu crois que c’est lui? m’écriai-je. — Y a des chances. — Mais alors... — Sois tranquille, il me la paiera cher, celle-là 1 Ça lui apprendra à venir nous dé ranger quand on n’aime pas à être dérangé. Avec un sang-froid admirable, lentement, sans s’inquiéter de la sonnette qui sonnait une vraie générale, elle prit une chaise, alla dans le vestibule, monta sur la chaise, dé crocha le battant de la sonnette et descendit de la chaise. — Tu peux tirer la ficelle autant que tu voudras, maintenant, dit-elle à mi-voix. Et, Léveillé, sur le palier, au même ins tant se mit à braire comme un Ane. — M... alors ! Voilà que je viens de casser la sonnette ! A Orléans, un dimanche, on ne trouve pas de serruriers, c’est inutile, il n’y en a pas; il n'y en aurait pas, si l’évêque même en vou lait un. Léveillé alla au café. Zita rentra dans sa chambre et nous reprîmes le chemin du dessert inopinément interrompu. Deux heures plus tard, Léveillé, revenu, taquina la sonnette à nouveau. Zita courut lui ouvrir, après avoir mis le battant sur le paillasson, elle se jeta dans ses bras, le ques tionna sur son retour, et lui dit que j’étais là. Léveillé accourut m’embrasser. — Ce cher ami, disait-il, ce cher ami ! comme je suis heureux! ce cher ami ! — Mais pourquoi es-tu revenu? demanda encore Zita. — Oh! ma chère petite! répondit Isidore, j’avais par hasard emporté la clef des cabi nets, je la rapporte. Comment aurais-tu fait pendant deux jours?... Victorien DU SAUSSAY...

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

En savoir plus
Données de classification
  • léveillé
  • richelieu
  • charcot
  • dumand
  • falstaff
  • convard
  • armenonville
  • victorien du saussay
  • marinoni
  • paris
  • orléans
  • cythère
  • pougy
  • liane
  • maurice
  • compiègne
  • colbert
  • chabanais
  • clichy
  • iss
  • bibliothèque nationale
  • maxim's
  • muie