Extrait du journal
des douze boutons de son gant ou lui dire le temps qu’il fera demain ? Ouvrir un livre, recevoir une visite, serrer la main d’un ami, suivre le convoi d’un parent, t’asseoir à une table pour écrire ou pour manger, entendre ce qu’on te dit, regarder ce qui se montre, tourner la tête parce que quelqu’un a crié au secours der rière toi, ce sont des choses dont tu n’auras plus le loisir. Eternel qui vive ! tu devras être, à toute minute, matin, jour, soir, nuit, prêt à une action inconnue, soudaine, qui te sera commandée sans avertisse.Ment, sans explication ; tu ressembleras à un voyageur qui attendrait toujours, toujours, la valise à la main, sur le bord de la voie, un train express qui passera peut-être, à toute vitesse, on ne sait quand, et dans lequel il devrait se jeter, d’un bond, à tra vers la vitre de la portière! Et c’est surtout des mille petites obéissances, sur-le-champ, dès la parole, dès le signe, que se montre jalouse la tyrannie féminine. N’espère pas la rassasier, en quelques fois, par d’hé roïques dévouements après lesquels elle pourrait, semble-t-il, n’avoir plus rien à demander; elle accepte, — sans rec nnaissance, puisqu’ils lui sont dus ! — les su blimes sacrifices, mais elle veut l’esclavage continu, attentif, occupé des moindres vé tilles ; il ne servira de rien que tu montres la magnanimité amoureuse des Lancelot ou des Amadis si tu n’a. point le zèle méti culeux d’un bon valet de chambre ; tu ne feras que ton "devoir, si, pour ton amie, tu quittes ton pays, brises ton avenir, com promets ton honneur, et tu seras impar donnable si tu ne lui apportes pas à l’heure convenable une avant-scène pour la pre mière représentation où elle a cent fois déclaré pourtant quelle ne voulait pas aller. La fuite d’un banquier vient de t’enlever ta fortune ? Songe au bal où, ce soir, tu verras celle que tu aimes. Ta mère se meurt? Pense au bouquet de gardénias que tu enverras à ta maîtresse. Une femme, misé ricordieuse entre toutes, a chassé de sa présence, — et comme elle a eu raison ! — l’amant qui avait renoncé pour elle à toutes les joies, à toutes les gloires, mais qui, un jour, le pied lui ayant manqué sur le bord d’un précipice où elle lui avait fait signe de cueillir une rose des Alpes, roula jusqu’au fond de l’abîme, déchiré, sanglant, presque mort, sans songer à cueillir la petite fleur, en passant. Mais, — chose plus épouvantable encore, — toi qui, pour le Baiser, consens à l’ou bli de toi même, tu n’obtiendras jamais dans sa plénitude l’enchantement du Bai ser. Ah 1 véritablement, parce que ta maî tresse, belle entre les belles, a les lèvres roses et les bras blancs et les seins frais comme les fleurs, parce qu'elle se livrera plus désirable que les déesses et les houris des rêves, tu t’imagines, pauvre niais, que tu vas connaître, entières, incomparables, les extases de la possession? lu crois que tu trouveras, dans l’amour, le bonheur ? Laisse cette espérance au seuil de l’infernal...
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
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