Extrait du journal
chose blanche qu’on leur faisait danser dans l’obscurité. Elles venaient même si près que la peur nous prit de les voir nous tomber dessus, et nous nous sauvâmes en courant dans la maison. Chauves-souris, pauvres bestioles, objet d’horreur pour tout le monde ; pour moi bêtes des soirs d’été, ne volant que dans l’air chaud des beaux jours... Je leur par donne leur laideur et je les admets, parce qu’elles ont déployé leur vol fantastique dans l’air pur de mes belles soirées d’au trefois et que je les retrouve mêlées aux souvenirs des doux étés de mon enfance. Plus t ird, à Paris, j’habitais au quar tier Latin, une petite chambre d’étudiant, froide et grise, encombrée de livres clas siques et de cahiers... Un tableau noir et de la craie, des choses laides et tristes. J’avais dix-sept ans. Après un hiver d’é tudes, longue saison d’ennui, de premières fatigues, de premiers écœurements, il ar riva que le printemps fit son apparition, comme c’est la loi de nature. Un soir de mai, le temps étant devenu tiède, j’étais resté accoudé à ma fenêtre haut perchée, — rêvant de m’en aller... J’avais là des perspectives mélancoliques de cheminées, de vieux toits noirs, le clo cher de Saint-Etienne du Mont, le clocher de Sainte Geneviève. Cette belle soirée me semblait étrange, tombant sur toutes ces choses maussades ; je m’étais figuré qu’à Paris le printemps ne viendrait jamais. Il était venu tout de même ; la soirée était douce et j’apercevais en bas, sur une fenêtre, de pauvres lilas fleuris. La nuit tombait. Et tout à coup je vis deux chauves-souris qui décrivaient des courbes folles sous ma fenêtre... Avec quel plaisir je les saluai, ces deux pauvres vilaines bêtes 1 C’était pour moi plus que les premières hirondelles, ces deux pre mières chauves-souris : vraies messagères de l’été, vraû s messagères des vacances, du départ et de la liberté. Sans compter que j’espérais bien ne pas y revenir, dans ce gîte noir... Et, en effet, je n’y revins pas : on me donna ma volée pour ailleurs, et je pris un grand vol qui me mena très loin; on ne me revit plus au Quartier... Vous savez, Plumkett, que, si je n’ai ja mais été enfermé dans un lycée; je n’ai pas non plus beaucoup langui au quartier Latin. Je n’y ai guère passé qu’un an, juste assez pour en avoir une idée. Je traî nais tout autant que les autres, mon Dieu, dans les divers établissements de la rive gauche ; mais j’y avais les allures inéga les, — brusques ou timides, — effarées, d’un oiseau qu’on aurait pris déjà grand pour le mettre en cage ; j’y ai éprouvé bien des étonnements, j’en ai emporté des souvenirs de choses fades, écœurantes, malsaines. Il y a des gens qui ont chanté cette vie-là ; moi, je n’ai jamais compris la poésie de la mansarde, ni de la grisette, ni de l’estaminet. PIERRE LOTI. de l’Académie française....
À propos
Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.
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