Extrait du journal

Les • deux morales républicaines. Il n’est pas inutile peut-être de rele ver l’édifiante proposition que M. Louis Blanc faisait dimanche dernier applau dir au cirque Myers. L’orateur était ar rivé à un pas dangereux dans le pané gyrique de son saint. Il était difficile de paraître ignorer ce que J.-J. Rousseau avait fait de ses enfants, et plus difficile encore de le justifier. M. Louis Blanc s’en est tiré par un distinguo qui fait plus d’honneur à la souplesse de sa rhétorique qu’à la fermeté de sa morale. Il s’est ainsi exprimé ; Ce n'est pas, d'ailleurs, sur tel ou tel acte de leur vie privéequ’il faut prendre la mesure des esprits supérieurs. Ils ont deux existences : l’une par laquelle ils se confondent avec le reste des hommes, l’autre par laquelle ils s'en dis tinguent ; l’une qui disparait dans le vaste océan des vies particulières, l'autre qui forme une partie essentielle do la vie générale ; l une qui leur appartient à eux et à leurs proches, l’autre qui appartient à l'humanité. Eh bien, c'est de la seconde qu'ils nous doivent compte. Les grands hommes d'Etat nous doivent compte de leur politique ; les grands orateurs, de leurs discours; les grands écrivains, de leurs livres. Ainsi, voilà qui est entendu : nous ne sommes que des indiscrets qui écoutons aux portes quand il nous plaît de savoir si tel homme supérieur a été dans sa vie d’accord avec ses principes. Petite critique et petite morale ! Bon père, bon fils et bon époux, épitaphes de bourgeois! La belle affaire d’avoir envoyé ses en fants au Tour, si l’on vous a appris à faire des vôtres des citoyens libres et sensi bles ! de s’ètre traîné dans de viles amours, si l’on vous a fait pleurer sur de vertueux amants ! Eh bien, cette petite morale restera la nôtre. Si M. Louis Blanc avait simple ment dit que, dans le jugement des grands hommes, la critique doit être large et généreuse ; qu’elle ne doit pas insister étroitement sur leurs faiblesses et leurs misères; au contraire, qu’elle fait une œuvre meilleure en dégageant ce qui est pour nous une leçon et un exem ple , nous n’aurions rien à dire. Mais prétendre ainsi dédoubler l’homme, et ne demander compte à 1 écrivain que de ce qu’il a écrit, au politique que de ce qu’il a fait, à l'orateur que de ce qu’il a dit, c’est là une doctrine dangereuse. Quand nous cherchons l’homme derrière son discours ou son livre, nous exer çons un droit, et ce droit est de n’être jas la dupe d’une émotion qui ne serait qu’une surprise....