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Le Français, 21 mai 1871

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Le Français
21 mai 1871


Extrait du journal

ciété, parmi cette écume de la population qui, aux bouleversements sociaux n’ayant rien à perdre, ayant tout à gagner, est l’armée nat u4ïelle de tous les excès révolutionnaires, mais ils ont rencontré jusque dans la partie saine des habitants, jusque dans cette majorité immense qui devrait être honnête, qui devrait être-intelli gente, qui devrait être enfin, dans le bon sens du mot, conservatrice, ayant des intérêts, des droits à conserver, ils ont rencontré le silence de la complicité ! Cette majorité a tout permis, tout supporté, tout facilité. Elle a vu sans s’é mouvoir confisquer les propriétés, arrêter les personnes, fusiller les innocents; elle a assisté en curieuse à toutes les hontes, à tous les excès, et jusqu’à l’avilissement solennel de ses gloires nationales. A une pareille indifférence, à une pareille lâcheté, quelle excuse, quelle explica tion? Une excuse? Les historiens la chercheront sans doute dans cette sorte d’affolement qui suit tous les longs sièges, dans la fatigue physi que et morale qu’avaient fait naître inévitable ment les privations de toute espèce, dans l’ab sence, enfin, absence trop réelle par malheur, d’un grand nombre de gens d’ordre. Il est vrai : c’est un fait reconnu et constant dans l’histoire ; De même que l’emprisonnement cellulaire con duit souvent les individus à la folie, de même les longs blocus, en cloîtrant une population dans une cellule fortifiée, en lui enlevant avec les nouvelles de ceux qu’elle aime et qu’elle attend, l’air libre et vivifiant du dehors, plonge les es prits et les cœurs dans une sorte d’état morbide qui oblitère les jugements et énerve les coura ges. Il est vrai encore : Aussitôt qu’autour de Paris affamé, épuisé, une porte s’entrebâilla, une quantité innombrable de ceux qui pendant ces longs mois avaient souffert dans l’isolement et dans la fièvre, courut au loin chercher au sein de la vie de famille ou dans le silence des cam pagnes une consolation aux douleurs , une trêve aux mortelles angoisses. C’est ainsi que déjà, au 12 février, lors des élections générales, une minorité de quelques milliers de voix avait pu dans Paris faire triom pher sa liste presque entière et rendre aux yeux de la France et de l’Europe toute la ville soli daire de ses égarements. C’est ainsi qu’au 18 mars les factieux se virent en quelques heures maîtres de la capitale. Eux n’étaient point par tis ; complotant de longue main leur criminelle entreprise, ils étaient là tous prêts à l’accom plir; et tandis que les amis du droit, par l’ab sence d’un grand nombre d’entre eux, et sur tout de leurs chefs, se voyaient sans organisa tion, sans cohésion, sans direction, presque sans armes, les rebelles se présentaient organisés, disciplinés, commandés, armés de toutes pièces. Mais quoi ? Tous les honnêtes gens n’ont pas quitté Paris : il en reste encore, il n’en reste que trop, puisqu’ils se livrent sans défense aux fantaisies grotesques ou féroces de leurs tyrans. N’ont-ils pas eu, depuis tant de semaines, le temps de se remettre, de se compter, de se réu nir, de conjurer entre eux le rétablissement de l’ordre et leur propre salut? Eh bien 1 qu’ont-ils dit? Qu’ont-ils fait? Quelle protestation seule ment s’est élevée lorsqu’ils ont vu, pour com ble d’infamie, démolir la maison d’un homme dont le seul crime est d’avoir été choisi par la confiance de toute la nation, et jeter bas igno minieusement le plus glorieux trophée de leurs anciennes victoires? Non, il n’est pas d’excuse. 11 ne peut y avoir qu’une explication. Il en est une, en effet, hélas î trop saisissante, car elle jette sur nos espérances d’avenir une ombre noire et menaçante. (l’est que, chez nous, après vingt ans d’em pire, le niveau des intelligences et des volontés est tombé si bas, que l’on n’a plus ni la sagesse de prévoir les responsabilités qu’on encourt, ni le courage d’encourir celles qui seraient néces saires. Et qu’on ne s’y trompe pas : c’est chez ceux qui, par leur éducation, par leur situa tion naturelle ou acquise, devraient servir aux plus pauvres et aux plus ignorants de mo dèles et de chefs, c’est chez ceux-là que se trahit plus ouvertement cette double défaillance. Combien d’exemples n’en avons-nous pas vus! De tout temps, sans doute, le caractère français a plus ou moins glissé sur cette funeste pente. De tout temps, notre esprit national nous a poussés à nous livrer sans réflexion aux passions du momoment, aux entraînements de l’heure présente, et en même temps, à compter, pour réparer nos fautes et modérer nos emportements, sur un gouvernement que nous payons pour tout faire, surtout pour supporter nos critiques. L’empire survenant a rendu aiguë cette ma ladie chronique. Quelle plus belle occasion, en effet; pour satisfaire à la fois notre paresse et notre besoin d’opposition, pour nous laisser gouverner sans nous mêler de rien, et pour fronder toutes choses sans nous inquiéter d’en réformer aucune ! On était en face d’un pouvoir dont le premier souci était que les citoyens ne s’occupassent point de leurs propres affaires, et qui se déclarait luimême avec complaisance un pouvoir essentielle ment « fort. » Il n’y avait donc rien à faire ni rien à craindre. Les paresseux se disaient : « à quoi bon nous mettre en peine d’agir ? C’est un pouvoir « fort.» Nous ne pouvons rien contre lui : tous nos efforts ne serviraient à rien. » Et ils se replongeaient dans leur oisive insouciance,...

À propos

Lancé en 1868, Le Français était un quotidien à la fois catholique et libéral. Tirant à seulement 4 000 exemplaires, son lectorat est toutefois toujours resté très limité. Absorbé par Le Moniteur universel en 1887, le directeur du Français publie néanmoins quelques numéros en indépendant jusqu'en 1898, afin de conserver la propriété du titre.

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