Extrait du journal

— G'est la vérité. Autrefois, jusqu’à l’année dernière, je récoltais cent comportes de vin blanc de Clairac; aujourd'hui que les vendanges s’approchent, je n'en aurai pas un seul verre. Et pourtant, monsieur, quel souci î quelle peine! quel travail ! Ma vigne, c’était ma fille! Avec soin, je l'avaisprovignée,couchée, greffée. Pour lui donner de l’air, je l’avais labourée deux lois, et je 1 avais même retaillée pour détruire toutes les pousses mauvaises.Tournez-vous. Cette malheureuse vigne est plantée en hautains le long du coteau, à votre droite, et les arbres d'alentour lui servent d’échalas: regardez comme elle est jaunie et ruinée. Voilà tout mon gain perdu. Et pourquoi? parce qu’elle était sensible, ma vigne, ma aile, parce que ses feuilles tendres craignaient les pucerons, le tildes. Les maudites bêtes ! Pour l'en débarrasser, j éparpillai sur cette vigne, à pleins sacs, une poudre inventée par les savants, le sulfate de fer, et je nettoyai ses tertres de toutes les feuilles sèches que j allais brûler là-bas. Maigre tous ces soins, aucune grappe n’poussé. Pourtant, les vignes de mes voisins ploient sous les muscats. Quand je sors, je n’entends que des gens qui rient. Le bonheur est partout, sauf dans ma vigne. Je n’avais quelle elle pour toute richesse. Vous voyez, monsieur, un pauvre homme qui regrette bien de ne vous offrir à boire qu’un verre d eau....