Extrait du journal
VERSAILLES, 27 AVRIL 1871. La séance d’aujourd’hui a été marquée à son dé but par un incident significatif. On verra plus loin, au compte-rendu des débats législatifs, le texte môme des paroles de M. Louis Blanc. Mais ce que par malheur nul compte-rendu ne pourra peindre, c’est le ton de componction, c’est l’emphase mys tique avec laquelle elles ont été prononcées. On eut dit que l'orateur offic iait : et de fait il sacrifiait à son Dieu, au Dieu de la popularité malsaine et à tout prix. M. Louis Blanc trouvait sans doute que sa lettre de ces jours passés n’avait pas fait assez de ta page ; il craignait que l’interruption des communi cations avec Paris n’eût empêché sa prose d’arriver à son adresse. Il a donc saisi l’occasion de ren voyer à nouveau aux pauvres Parisiens quelques paroles de sympathie émue. Pour notre part, nous l’avouons, nous nous serions passé sans peine de ce nouveau commentaire. La pensée qui avait dicté au représentant de Paris cette lettre, où pas un pauvre mot ne prenait parti, où tous les lieux communs de la phraséologie humanitaire, et toutes les obscurités de la métaphysique socialiste semblaient s’être donné rendez-vous, où le nom même de la Commune en fin, n’était pas prononcé de peur d’avoir à le quali fier, cette pensée nous avait paru suffisamment en tortillée pour être claire aux yeux de quiconque sait lire entre les lignes. M. Louis Blanc en a jugé autrement. Franchement, il a eu tort, et, dans son propre intérêt, il aurait dû se dispenser de verser sur l’Assemblée le trop plein de sa sensibilité : il se fût ainsi épargné la verte réplique de M. le garde des sceaux. Là, encore, nous devons renvoyer au compte-rendu ; mais il nous est impossible de ne pas relever la rare vigueur, l’admirable netteté avec laquelle M. le Ministre de la justice a percé à jour le fantôme de contradiction que l’on prétendait éle ver entre sa dernière circulaire et le langage récent du Chef du Pouvoir exécutif. Les exemples qu’il a cités de ces perfidies de langage qui, sous couleur de prêcher la concorde et la paix, ne sont en somme que des encouragements à l’émeute et des attaques à la loi et au droit, et que visaient précieu sement les instructions incriminées par M. Louis Blanc, étaient à peine nécessaires : il suffisait de lire en toute bonne foi le texte même de la circu laire. Aussi lorsque le député de Paris, sentant le terrain glisser sous ses pieds, a voulu se raccrocher à une subtilité trop manifeste et établir une distinc tion entre la conciliation hypocrite et la conciliation sincère, l’honorable M. Dufaure n’a-t-il pas eu de peine à enlever son triomphe : il n’a eu qu’à faire appel en deux mots au bon sens de la Chambre, et M. Louis Blanc s’est trouvé dans cette alternative d’avoir été en faisant son interpellation ou perfide ou naïf. Après un tel débat, devons-nous parler des colèi es impuissantes des écrivains qui exhalent leur mauvaise humeur contre le Gouvernement et l’As semblée? Le journal le Soir attaque aujourd’hui, a’-ec une extrême vivacité, sans mesure et sans rais« n, M. Dufaure, à propos de celte même circu laire qui devait fournir quelques heures plus tard un prétexte à M. Louis Blanc. Dans son ardeur de critique, l’auteur de l’article ne sachant à quoi s’en P', en dre stigmatise le jury en matière de presse et a joute : « les collègues de M. Tliiers profitent un peu trop de son absence morale pour se livrer à leurs fantaisies législatives. » Vraiment ce dernier trait a de quoi désarmer ! Traiter de fantaisies législatives les principes émis par M. de Serres, soutenus par Royer-Collard, dé fendus en 1819 par le duc de Broglie ; blâmer avec aigreur la meilleure et la mieux conçue de toutes nos lois sur la presse ; attaquer la législation pour laquelle tout esprit vraiment libéral ressent un peu de cet attachement et de ce respect qu’on porte aux rares institutions entourées du prestige de l’histoire, se moquer en la personne de M. Dufaure des prin cipes les plus incontestés de nos lois politiques, c’est placer le Garde des Sceaux au rang qu’il mérite, et M. Pessard peut seul regretter l’étrange campagne qu’il vient de diriger tout d’un coup contre un mi nistre, faute d’avoir osé la soulever avec franchise contre une loi dont il lui eut été impossible de blâ mer hautement les tendances libérales....
À propos
Lancé en 1868, Le Français était un quotidien à la fois catholique et libéral. Tirant à seulement 4 000 exemplaires, son lectorat est toutefois toujours resté très limité. Absorbé par Le Moniteur universel en 1887, le directeur du Français publie néanmoins quelques numéros en indépendant jusqu'en 1898, afin de conserver la propriété du titre.
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