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Le Français, 30 mai 1871

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Le Français
30 mai 1871


Extrait du journal

partie quelques-uns des hommes du Gouverne ment de la Défense nationale, il avait pour agir ainsi deux raisons capitales. La première, c’est qu’il ne voulait pas, en fon dant un gouvernement provisoire, paraître ac complir une contre-révolution ; et c’est sans aucun doute ce que n’eût pas manqué de lui re procher tous les matins une portion de l’opinion publique, s’il eût brusquement, brutalement éli miné tous les membres du gouvernement auquel succédait le provisoire. Le second motif, et le plus puissant de beaucoup, c’est qu’il fallait que ceux qui avaient préparé la situation en assu massent jusqu’au bout la responsabilité ; il fal lait que ceux qui avaient laissé se propager le désordre eussent à réprimer les violences qui en devaient fatalement éclore ; que ceux qui avaient négocié les traités eussent la dure charge de les signer, d’y attacher à jamais leur nom. M. Thiers, obéissait ainsi aux raisons les plus politiques, les plus impérieuses; ces raisons ont maintenant disparu. 11 faudrait être, à 1 heure présente, ou aveugle, ou perfide, pour laisser voir, à l’égard du chef du pouvoir, la crainte d’une contre-révolution. Les responsabilités, d’autre part sont aujourd’hui tout entières réa lisées et accumulées sur les têtes qui les avaient encourues : elles pèsent, complètes, écrasantes, ineffaçables, sur les hommes à qui elles incom baient. Donc, entre M. Thiers et ces représen tants du passé, nul lien politique : de lien per sonnel, pas davantage. Qui donc ignore que de tout temps M. Thiers a suivi et proclamé hau tement, sur les questions de paix et de guerre, sur les faits militaires et politiques, une ligne de conduite absolument distincte de celle que te naient les membres du Gouvernement de la Dé fense nationale ? Qui donc ignore qu’il n’est par conséquent en quoi que ce soit solidaire de leurs opinions, de leurs actes, de leurs responsabi lités? Non, ce n’est pas de lui que peut venir l’objection. Viendrait-elle alors du parti républicain? Pour notre part, nous nous refusons à le croire. Et d’abord les républicains, après les gages si nom breux, et — personne n’en doute aujourd’hui, — si sincères qui leur ont été prodigués, pour raient-ils trouver mauvais qu’on accordât aux autres partis les garanties auxquelles, à leur tour, ils ont droit ? Pourraient-ils à ce point méconnaître les usages, les exigences légitimes du parlementarisme ? Car enfin ce que nous ré clamons, ce n’est pas l’exclusion absolue de tel ou tel parti, pas plus des républicains que des autres : c’est seulement pour chacun une part proportionnelle, équitable, dans le pouvoir, dans l’administration. Et d’ailleurs, même à leur propre point de vue, quelle ne serait point, en pareil cas, l’erreur des républicains? Quoi donc î Il faudrait les supposer assez aveugles pour lier irrévocablement leur sort à celui des hommes du 4 septembre ! Loin de nous assurément la pensée de con fondre dans une même réprobation les mem bres de la défense nationale restés à Paris , avec les grands coupables qui, pour la plus profonde ruine de la France, les représentaient en province. Mais tous enfin sont enveloppés dans une même impopularité. Comment le mécon naître ? Incarner définitivement, solennellement la cause de la République dans ces hommes qui déjà, en couvrant leur gouvernement improvisé de l’étiquette républicaine, et en associant ainsi dans l’esprit des populations, la République à leurs fautes et à leurs désastres, l’ont si grave ment compromise, ce serait à ce coup la per dre pour jamais et sans appel possible. Les vrais républicains, sensés et modérés, le savent, nous en sommes sûrs. Ils tiendront les premiers à prouver qu’ils le comprennent. L’obstacle, enfin, naîtrait-il donc des minis tres eux-mêmes, des hommes du 4 septembre actuellement en place ? C’est chose à nos veux plus impossible encore. Agir ainsi, se cram ponner au pouvoir qui leur échappe, serait vo lontairement détruire toute illusion possible sur leur clairvoyance et sur leur valeur politi ques. Ils se ravaleraient eux-mêmes bien trop au-dessous de la tâche qu’ils avaient assumée. Lorsqu’on a rempli certains rôles, sa voir se retirer à temps est une question de dignité élémentaire. Les membres du Gouvernement de la Défense nationale ne peuvent l’ignorer. S’é tant un jour volontairement chargés de sauver seuls la patrie et n’ayant pu, hélas ! obtenir ce qui est aux yeux des peuples la seule consécration de pareilles témérités, le succès ; ayant maintenant épuisé jusqu’à la lie le calice des responsabilités, ils doivent, sous peine de nôtre plus que des ambitieux vulgaires, des usurpateurs de bas étage, savoir spontanément s’éclipser, avant que le flot montant de l’impopularité ne les sub merge. Qu’ils écoutent plutôt la protestation unanime qui accueille en ce moment la réappa rition toute provisoire de M. Jules Ferry. C’est là pour eux le plus clair, le plus irrésistible des avertissements. Que si d’ailleurs ces motifs tout personnels ne suffisaient à les déterminer, s’ils croyaient de voir faire bon marché de leur personne et de leur dignité, il est un autre motif, d’une nature plus relevée, plus noble, partant plus impé rieux, et qui ne saurait leur permettre d’hésiter davantage. C’est l’intérêt public de la liberté. Après la crise sans exemple dont nous sortons à...

À propos

Lancé en 1868, Le Français était un quotidien à la fois catholique et libéral. Tirant à seulement 4 000 exemplaires, son lectorat est toutefois toujours resté très limité. Absorbé par Le Moniteur universel en 1887, le directeur du Français publie néanmoins quelques numéros en indépendant jusqu'en 1898, afin de conserver la propriété du titre.

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