Extrait du journal
FRANCE. PROJET DE VIOLENCES A LYON. — LA REUGIOM. Nous sommes intimement convaincus que la réaction n'ensanglan tera pas Lyon. Nous sentons tout ce qu’il y a d’entrailles dans l.t bourgeoisie ; nous qui avons sondé tant d’hommes qu’on traitait au tour d’eux d'égoïstes et de cœurs froids, et qui avons réveillé en eux la générosité et le dévouement, nous savons ce qu’il faut penser de certains appels à la violence et à la répression brutale. Nous qui avons fait couler des larmes d’yeux que d’autres avaient toujours trouvés secs et menaçant*, nous savons ce qu'il y a de virtualité sympathique au fond de ces classes bourgeoises qui dans leurs rapports avec les classes ouvrières se présentent avec les apparences de l’insensibilité et de l’exploitation. Ce n’est pas seulement parmi les classes inférieures qu’il y a des pères tendres, des mères qui tressaillent au seul nom de leurs enfants ; et quoique la bourgeoisie lyonnaise ait pu penser et dire au premier instant en «tentant à côté d’elle des baïonnettes amies et des canons protecteurs, nous ne croyons point que le sang versé dans les journées funestes du -ii et du novembre retombe sur la tête des ouvriers. Car il n’y a pas dans Lyon un fabricant, fût-il de tous le plus dur, le plus avide, qui ne fût remué jusqu’à la moelle des os quand du banc des accusés sortiraient ces paroles : « Nous nous sommes révoltés et nous » avons eu tort; mais nous mourions de faim ; nos pauvres enfants » étaient nus et sans pain à l’approche de l'hiver ; nos fdles, qui sont «jeunes et belles comme les vôtres, n’avaient plus qu’à choisir entre » l’infamie ou la mort cruelle que donne lentement la faim : nous • nous sommes plaints, et nos plaintes ont été vaines— Nos brasse • sont égarés! Pour éloigner de nous la pensée de révolte, il fallait • nous écouter ou arracher de notre cœur l’amour que nous portons • à nos femmes et à nos enfants, et qui est notre seule consolation • au milieu de nos misères. «Quel est le juré, père de famille, qui entendrait froidement cette défense ? Quelle est la mère qui ne vou drait embrasser les genoux de son mari plutôt que de le laisser aller prononcer devant Dieu et devant le* homme* un arrêt de mort con tre des malheureux qui plaideraient ainsi leur cause ? Il parait certain cependant qu’il y a des gens qui opinent en ce moment pour la sévérité; que beaucoup de Lyonnais des classes élevées, encore sous le poids de la frayeur légitime que leur inspirè rent les scènes de carnage dont ils furent les témoins, ont à la bouche les mots de rigueur et de satisfaction aux loi*. L’ordre légal a été troublé violemment : il demande vengeance, dit-on ; la France nou velle le proclame à Paris, et le Précurseur, qui était d’un avis con traire, vient d’être saisi à Lyon. Pour être conséquents, les adora teurs de la légalité qui parlent de la sorte devraient faire promul guer une loi par laquelle il serait défendu aux prolétaires, de par le roi, la loi et justice, d’avoir faim quand il n’ont pas mangé, et froid en hiver quand ils sont nus , et par laquelle il leur serait expressé ment interdit de prendre de l’attachement pour leur femme et leurs enfants. Alors la légalité serait complète ; et tous les prolétaires que le désespoir égarerait, pourraient être sans miséricorde livrés en masse au bourreau, fussent-ils comme à Lyon cinquante mille, comme s'étant rendus coupables d’un crime prévu par le code pé nal. Il v a une loi plus forte que les quarante mille lois dont l’ensemble constitue l’ordre légal, c’est que le progrès ne doit plus se réaliser par le sang ; d’oû il suit qu’une société qui au lieu d’améliorer des populations que leurs souffrances auraient poussées à des excès dé plorables, se vengerait d’elles en les exterminant après coup , serait une société immorale et arriérée. Il y a déjà dix-huit cents ans que Christ est venu effacer du cœur des hommes le sentiment de la ven geance. Triste condition de la société actuelle ! Ici, à Bristol, les prolé taires qu’exploitent la bourgeoisie et l'aristocratie anglaise se soulè vent avec fureur, et une ville opulente est désolée, saccagée par le fer et par le feu ; ailleurs, à Lyon, les prolétaires se dressent en masse, ils soumettent la bourgeoisie à coups de fusil ; mais comme là leur moralité est plus haute, ils reculent épouvantés devant leur propre ouvrage; lorsqu’ils sont maîtres de la rie et des propriétés de ceux qu’en leurs réduits *.»> maudissaient, les armes leur tombent des mains. Cependant, malgré ces différences à Bristol et à Lyon, c’est toujours par la violence que les classes inférieures cherchent la guérison de leurs douleurs ; de part et d’autre c’est la menace sur les lèvres et la haine nu fond du cœur qu’elles accourent à flots tumul tueux sur la place publique; c’est sur l’oppression brutale des classes élevées qu’elles fondent l’espoir de leur émancipation. Vain espoir, Hlusiou funeste ! il n’y a pour elles d’émancipation que celle qui sera con sentie, voulue parles classes supérieures. Tant qu’elles la réclameront snm avoir le sentiment des besoins, des droits et des vœux des clas ses élevées, tant qu’elles s’isoleront, elles pourront bien mettre la so ciété en péril et amonceler des débris, mais elles ne créeront pour elles-mêmes ni la liberté ni l'allégement de leurs souffrances : elles n’auront enfanté que la désolation. Tant qu’elles réclameront la vie en poussant des cris de mort, la vie s’enfuira de leur sein. L’isole ment c’est l’irréligion. Quiconque , individu , caste ou peuple, ap pellera le progrès irréligieusement, c’est-à-dire sans sentir son exis...
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Fondé en 1824 par Pierre Leroux (1797-1871) et Paul-François Dubois (1793-1874), Le Globe a traversé plusieurs phases très distinctes : de publication strictement littéraire, la rédaction – regroupant plusieurs universitaires – s’est peu à peu intéressé à la politique et à l’économie, via le saint-simonisme.
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