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Le Guetteur de Saint-Quentin et de l’Aisne, 8 juillet 1883

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Le Guetteur de Saint-Quentin et de l’Aisne
8 juillet 1883


Extrait du journal

Ce n’est pas nous qui l’avons Inventé, ce doigt-là ; mais s’il existe, il faut avouer qu’il donne en ce moment une rude leçon aux légi timistes et aux cléricaux, à ceux là mômes qui ont l’habitude de le fourrer partout. AI. le comte de Chambord est mort ; la chose n’est pas encore officielle à l’heure où j’écris ces lignes, mais personne à Paris ne la met en doute. C’est par le Cluiron que, pour ma part, j’ai su la nouvelle. Je lisais, hier matin, dans ce journal, l’article ému, les dépêches déso lées consacrées au mourant. J’ai pris ensuite le Gaulois môme note, même émotion, môme deuil. Et c’est en lisant les détails de la maladie, en lisant dans ces mêmes journaux qui ont mis le doigt de Dieu à la mode, que je me suis rappelé une autre mort encore chaude, une douleur encore saignante, et que je me suis représenté à six mois d’intervalle le langage de ces journaux aujourd’hui en deuil, leur attitude d’alors, la façon dont ils ont respecté le lit de mort de celui qui s’en allait, les larmes de ses amis, les angoisses de tout un parti. Oui, M. le comte do Chambord meurt de la même maladie que Gambetta. Comme lui, il a dû s’aliter à la suite d’un accident, et comme chez lui, ce repos forcé a occasionné des désordres mortels. Se rappelle-t-on les abominables récits, les dégoûtantes épi- » thôtes, les insinuations qui, pendant près d’un mois, ont rempli les journaux du monde bien élevé ? On insultait ce mourant en prose et en vers ; on trouvait son mal répugnant ; on faisait des calembours sur sa graisse, sur son ventre, sur les médecins, sur les re mèdes, sur les consultations. C’était bien, disait-on, le genre de mort qui convenait à un pareil homme. Et tous les matins, des journaux qu’il lisait et qui le savaient bien, lui annonçaient à lui-même, en termes ré voltants, sa fin prochaine ; à l’avance, on dansait sur ce cadavre, devant ses amis altérés, sans souci du deuil immense de la France républicaine, sans souci des poi gnantes douleurs privées que cette mort fai sait naître, sans respect des pieux dévoue ments qui veillaient autour de ce lit d’ago nisant. Aujourd’hui, les joyeux vivants d’hier sont dans les larmes. La mort, sinistre, fantaisiste, a frappé à leur porte, et il lui a plu d’y entrer oomme chez nous, s’annonçant de la môme manière, frappant le môme coup. Où sont les plaisanteries d’an tan ? les propos salés ? les gaudrioles? Où sont les injures quotidiennes, les jolis vers finement ciselés dans la peau du moribond? Où donc est la joie faite de la douleur des autres, où donc est la bonne odeur de l’ennemi mort ? Ce n’est pas chez nous qu’on la trouvera. Non, non, nous n’userons de représailles, et nous serons respectueux de la mort,n’étant pas du faubourg Saint-Germain. Il n’arrivera pas à Frohsdorf une ligne de nous qui soit une insulte pour l’homme qui disparait ; il ne tombera pas sous les yeux d’une veuve un seul mot qui soit une injure à sa douleur, et ce sera notre seule vengeance, que nous n’avons pas cherchée, la vengeance des pauvres gueux de républicains que nous sommes contre les grands seigneurs de toutes les monarchies, de les laisser en paix,...

À propos

Fondé en 1869, Le Guetteur de Saint-Quentin et de l’Aisne affiche très vite son indépendance totale vis-à-vis de l’État en tenant haut le drapeau de la démocratie. Profondément pacifiste, le journal est convaincu que l’entente des peuples doit passer par une démilitarisation multilatérale. Il paraît jusqu’en 1914.

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