Extrait du journal

Sa nature est si bonne qu’on a bientôt fait de l’apprécier. — En effet, il a l’air d’un excellent gar çon... En entendant cette qualification, qui fri sait l’ironie, Emma devint rouge comme si, à son sens, on faisait tort à l’artiste, dont elle avait compris la valeur. Sans paraître s’apercevoir de ce trouble, Juliette reprit avec le calme et l’égalité de ton qui lui donnaient une puissance indé finissable : — Je ne m’étonne pas que M. Martel ait été heureux de se voir admis chez vous, car je suppose qu’il a dû toujours vivre obscur et dénué de relations. Emma ne put s’empêcher de prendre la parole : — Cette obscurité a cessé depuis hier, madame. La veuve fit un léger mouvement de doute et répliqua en souriant : — A vos yeux, le jeune architecte s’est couvert de gloire, n’est-ce pas ‘? — Sans doute. — La gloire ! répéta Juliette, avec un dédain plein de pyrrhonisme. Tout ins truite que vous êtes, mon enfant, soup çonnez-vous ce que c’est que ce prisme éclatant ? — Voyons, Emma, dit madame Moran dot, explique-toi. Il faut s’habituer à jus tifier ses assertions. — Je ne puis, dit la jeune fille, répondre que par un fait : c’est que M. Martel vient d’obtenir le grand prix de Rome, et que l’avenir le plus beau lui est assuré. — L’avenir ? répéta Juliette, avec ce ton de moquerie froide qui glace les auditeurs; ah ' ma chère petite, j’aimerais à respecter vos illusions, mais la franchise me com mande de vous éclairer. Loin donc que l’avenir soit garanti aux élèves de Rome, en échange de la très mémorable couronne...